Comment transformer un cours de géopolitique en (bon) film? Deux options étaient possibles: la première consistait à faire tenir le film sur les personnages, à les délester de leur statut de symboles de la misère chinoise. Peut-être ai-je mal vu le film, mais j'ai le sentiment que ce choix n'est pas du tout celui qui a été fait: tous les personnages sont ramenés à cette phrase d'une des filles du sauna (chapitre 3 du film) qui dit qu'il "vaut mieux avoir une triste vie qu'une belle mort". Aucun destin n'est donc héroïque dans A Touch of Sin, le jeune homme qui se défenestre dans le dernier chapitre a même droit à une triste vie et une triste mort. La Chine va vraiment très mal: la jeunesse désoeuvrée de Plaisirs inconnus a maintenant tellement froid qu'elle se suicide.

L'autre option consistait à opérer un casse sur le cinéma américain lui-même, ce que fait par exemple Bong Joon-ho dans Snowpiercer, film-monstre qui excède ses références américaines et apparaît, par son casting même, comme une gigantesque tour de Babel couchée à l'horizontale, qui ratisse de tout ce qu'elle peut avant d'exploser. L'ambition de Jia Zhangke est moindre: il fait la somme de quatre faits divers récents qu'il abat successivement sous nos yeux comme des cartes censées former quelque figure. L'abattage successif de ces cartes ne produit pourtant rien: le film ne semble être que la somme des faits divers qu'il raconte. Jamais le tableau de la Chine contemporaine ne dessine un état du monde: A Touch of Sin reste, à l'image de ses tristes personnages, prisonnier de ses quatre cantons.
chester_d
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le 12 déc. 2013

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chester_d

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