Quand le film s'est achevé pour ma première fois, j'ai eu envie de partir en Inde, de prendre le train, envie d’appeler mon frère pour l'embrasser, de téléphoner à ceux que j'aime, et de me peindre un tilak sur le front, ce troisième œil sur le monde.

J'ai eu envie de le revoir encore, de reprendre ce train duquel je suis descendu le sourire aux lèvres, et qui me montrait d'où il vient, et en me laissant imaginer où il se dirige. Il n’y a rien mieux que des rails pour dérouler une pellicule de cinéma.

Au fil des aiguillages, on savoure ces petits morceaux d’histoires, comme des chemins empruntés puis abandonnés ensuite, laissant derrière nous toutes ces possibilités d’autres destinations : celle des bleus sur le corps nu de Natalie Portman, celle de Bill Murray qui n’a pas réussi à prendre le train en marche, celle du Darjeeling qui continue sa route sans nous, emportant avec lui sa magnifique hôtesse, celle du petit village indien endeuillé, ou même celle du tigre mangeur d’homme.

Il n’y a rien de mieux qu’un train comme décor de cinéma. Et qu’un voyage pour conduire une histoire.

L'histoire démarre à la manière d'une blague ou d'une comptine : l’histoire de trois hommes dans un train, frères mais sans aucune ressemblance, l’un portant des bandages, l’autre des lunettes trop grande pour lui, et le troisième sans chaussures. La farce suivra le train, mais les trois frères, eux, poursuivront leur histoire hors des rails, sur les routes plus sinueuses du drame.

Trio d’acteurs rivalisant de vulnérabilité touchante, de justesse et de cocasserie, Owen Wilson, Adrien Brody et Jason Schwartzman forment cette fratrie improbable, si disparate mais si cohérente, véritable cœur chaud d'un film se révélant avant tout histoire émouvante d’amour fraternel.

Comme dans tous ses superbes films, Anderson laisse entrevoir la douleur sourde de ses personnages : celle du romancier qui n’arrive pas à maquiller le drame de sa vie sous la fiction, celle de Francis qui semble avoir voulu porter les blessures de son père, ou Peter qui porte sur lui les objets de son père et les faits voyager, mais incapable de se confronter à sa paternité et à son deuil.

Et derrière le vernis de son imagerie aérienne et pop, il y a cette violence latente, dans l’accident jamais montré - du père, du frère - dans la peinture d’un homme ensanglanté accroché au mur ou le sang bien réel d’un enfant, qui apporte au film cette note un peu plus grave, achevant de le rendre encore un peu plus poignant et beau.
Omael
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le 15 juin 2014

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Omael

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