Terrence Malick, l'exemple-type du cinéaste clivant : qui fait passer de l'admiration béate à l'agacement le plus vif. Difficile de donner une note unique à ce A la merveille, qui passe du 5 au 8 d'un moment à l'autre.


Pas d'histoire, sinon la plus banale qui soit : un couple qui se sépare, se remet ensemble, se re-sépare. L'usure de la passion, la difficulté à faire vivre l'amour. L'errance dans les sentiments.


Pas de personnages , ou si peu étayés que pas : un homme et une femme, dont on ignorera même le prénom, une seconde femme pour une liaison qui ne durera pas. Et un prêtre, qui cherche Dieu, comme en écho à l'histoire de ce couple : agape contre eros.


Pas de dialogues ou presque : Ben Affleck dépasse rarement les cinq mots, et sa partenaire est plutôt dans la pensée vagabonde que dans l'échange.


Pourquoi pas ? Le scénario, pas plus que les personnages ni les dialogues ne sont essentiels au cinéma. Le cinéma, c'est, ramené à son essence la plus profonde, de l'image en mouvement. Et là, Terrence Malick est très fort : l'image est souvent passionnante, et le mouvement de la caméra est d'une grâce absolue. C'est là que réside d'ailleurs à mon sens le style Malick : il filme avec une sensualité unique. La caméra semble danser tout au long du film, et ça, c'est tout de même assez exceptionnel. Quelques plans sont mémorables, comme celui des deux protagonistes chacun à un étage de l'appartement, de chaque côté du cadre (et le fondu sur le plan suivant, qui lui fait écho). La vision d'un lac où les nuages se reflètent. Une main qui s'enfonce dans l'eau. Les images de la baie boueuse du Mont Saint-Michel. Il parvient à rendre esthétiques des courses dans un supermarché ! Je dirais presque que Terrence Malick est plus un chef opérateur de génie qu'un réalisateur de génie, même s'il réussit une ou deux belles scènes (celle des bisons par exemple).


Car nous arrivons à l'énigme le concernant : comment un filmeur aussi gracieux peut-il se montrer aussi lourdingue dans son propos ? Il y a d'abord cette voix off, égrainant des aphorismes ou des questionnements "profonds", assez insupportable de prétention et de vacuité. Quelques exemples : "où on est quand on est là ?", "l'amour nous fait un... deux... un", "l'amour nous aime... merci". On croirait un sketch au second degré des Inconnus tellement c'est énorme ! Cette voix off pontifiante m'avait déjà hérissé le poil dans La ligne rouge et Les moissons du ciel... Certes, ça contribue à façonner son style, mais j'avoue y être assez allergique.


Malick abuse aussi un peu des "belles images" : couchers de soleil, soleil en contreplongée filtré par les feuilles des arbres, oiseaux dans le ciel, herbes frémissantes au ras du sol, rivière qui coule... Encore une fois c'est souvent très beau, mais on frôle aussi fréquemment le cliché. Idem dans ce qu'il met en scène : un homme et une femme qui se poursuivent, rient, jouent comme des enfants... Là aussi, on est pas mal dans le lieu commun de l'amour. Ce qui rend d'autant plus pitoyable sa prétention à nous révéler de grandes vérités. Idem dans le choix des acteurs : les femmes sont forcément belles, avec un physique de mannequin, et l'homme se doit d'être, grand, baraqué et tatoué. Clichés de la féminité comme de la masculinité.


Ajoutons à cela la musique omniprésente, qui ressemble furieusement à du Wagner (je pensais que c'en était, mais apparemment non : une copie éhontée), et l'on obtient une sorte de clip vaguement new age. A moins que ce ne soit un sermon. La teinte wagnérienne est d'ailleurs cohérente : comme Wagner, Malick peut se montrer génial ou terriblement emphatique.


Comment trancher alors, entre 5 et 8 ? Mettons 6,5, faute de mieux !

Jduvi
6
Écrit par

Créée

le 31 janv. 2020

Critique lue 92 fois

Jduvi

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