C’est à un voyage auquel nous sommes invité.e.s. Un voyage dans des contrées lointaines, celles où le beau mot et la parole bien placée sont le graal absolu. Là où l'on se rend, on parle pour dire ce que l'on a dans le coeur, en regardant l'autre dans les yeux, au lieu de jeter des regards absents vers le sol, accaparé.e.s par des téléphones réclamant toute l'attention.


Bienvenue à Paris, en Seine Saint-Denis, à Éloquentia plus précisement, ce concours d’éloquence créé en 2013 et dont l’ambition est de (re)donner confiance à ceux et celles qui y participent, tout en faisant l'éloge de l'expression orale employée avec justesse. Des jeunes se réunissent durant six semaines pour apprendre à donner vie à leurs mots, leurs pensées, leurs émotions. Ils/elles vont être épaulé.e.s par des professeur.e.s compétent.e.s, chacun.e dans leur domaine spécifique : l’art oratoire, le slam, la scène, le théâtre. Ils/elles vont apprendre des autres, tout en apprenant beaucoup sur eux/elles-mêmes, sur qui ils/elles sont et ce qu’ils/elles défendent.


Même si le concours est basé sur la compétition et l’élection finale d’un heureux ou d’une heureuse gagnant/gagnante, le documentaire puise sa force dans l’énergie qui se dégage du groupe, compacte, s’encourageant, s’écoutant, titillant parfois là où ça fait mal, toujours de manière bienveillante.


Le dynamisme fou dégagé par cette collectivité est présente à l’écran, grâce au montage bien sûr, et aux choix des metteurs en scène, Stéphane de Freitas et Ladj Ly (futur auteur du film césarisé Les misérables). Ceux-ci ont décidé de s’intéresser en particulier au destin de trois ou quatre personnalités du groupe, plus charismatiques ou cinégéniques que les autres, en les suivant chez eux. Ils/elles nous racontent comment ils/elles sont devenus ce qu’ils/elles sont et en quoi la parole les aide à vivre. Ils/elles n'ont pas tous des parcours faciles et ont besoin de partager ce qu'ils/elles ont parfois découvert dans la violence.


Le rythme s’en va crescendo, suivant la progression de ces jeunes qui se cherchent par les mots, et qui boivent, tout comme le.la spectateur.rice un peu curieux.se, la parole de leurs professeur.e.s. Tout comme dans The King's Speech, on se demande si ils/elles parviendront à atteindre leur objectif et le cœur du jury, sans trembler, sans écorcher des phrases. Le nombre de jours avant le tournoi, puis de candidat.e.s avant la finale diminuent. On est pris au jeu. Il n'en reste plus que 8, 4, 2. Et c'est la finale.


On peut regretter que certaines scènes ou images, surtout au début du film, fassent « téléfilm ». Et pourtant, petit à petit, le documentaire sort du petit cadre de la télévision hertzienne pour révéler des séquences de cinéma, des plans recherchés, des moments volés, principalement en classe ou lors de moments où les protagonistes s'expriment, avec beaucoup d’émotion, de souffle, et d’ambition. Le montage va parfois trop vite, les réalisateurs sont comme pris par le mouvement, ils veulent tout embrasser, tout raconter, mais l'émulation du groupe et l'envie de défendre leur opinion emporte tout sur leur passage.


Au final, ce qu’il en ressort, de ce voyage au pays de l’éloquence, c’est la beauté des mots, du verbe, mis en avant pour défendre une cause, un sujet. Les yeux pétillent d’envie de faire mieux, de dire mieux, de se surpasser. Non pas pour dépasser l’autre, l’écraser, mais bien au contraire, pour discuter, dialoguer, nommer les chose qui font mal, qui vexent, qui égratignent. Nos yeux s’embuent face à ces images de jeunes qui s’affirment, qui osent, face à ces formateurs.trices (Bernard Périer en premier) qui clament haut et fort l’amour de la parole. Non pas pour dévaluer l'écrit, mais pour appeler à une résistance passionnée, réfléchie et rationnelle, par le débat, de ce qui nous est cher.


Nous sortons du film galvanisé.e.s. Il faut maintenant écrire, parler, partager, résister.

Cambroa
8
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Créée

le 21 sept. 2020

Critique lue 149 fois

Cambroa

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