Pour leur premier long métrage Gustave Kervern et Benoît Delépine s'essayent au road-movie comique et caustique situé à mi-chemin entre la bande-dessinée, le sketch télévisé et la caricature sociale. Voilà donc cet étrange Aaltra, OVNI cinématographique peu banal et jubilatoire dans lequel le duo grolandais incarne un binôme de paraplégiques entreprenant un périple épique en fauteuil roulant afin de toucher des indemnités suite à la perte de leur mobilité naturelle, partant du pays du camembert jusqu'aux contrées kaurismakiennes en passant par une ou deux baraques à frites ... Ouf ! Comme marque de prestige nos deux zigotos tournent leur film dans un Noir et Blanc charbonneux et magnifique sur un format pellicule réservant son lot de rayures et autres imperfections en tous genres... poussant la provocation jusqu'à ses derniers retranchements puisque Aaltra est de surcroît shooté en scope, seul et unique soupçon de glamour dans un film intégralement pince-sans-rire, audacieux et très impertinent, fonctionnant essentiellement sur le mode de la séquence.


Bien que Delépine et Kervern se laissent parfois aller à la facilité du système consistant à faire 24 fois du Groland par seconde la dimension culte de Aaltra se déploie au fil des numéros comiques du binôme et des nombreux seconds rôles présents au générique. En effet Aaltra réserve au moins deux ou trois scènes d'anthologie, chacune se voyant habitée par un membre de l'équipe spirituelle du duo grolandais : Benoît Poelvoorde est impeccable en beauf fanatique de moto-cross, tout comme Bouli Lanners dans son interprétation impayable de Sunny. Le portrait social, bien qu'assez simpliste à la mérite d'être radical et courageux à tel point que les deux acteurs-réalisateurs forcent parfois un peu trop le trait de leur caricature, signant un objet certes drôlissime mais pas forcément sympathique et/ou attachant...


L'imagerie surréaliste, enfin : peuplé d'images nonsensiques, comme décalées voire à côté de la plaque Aaltra préfigure en un certain point l'aboutissement formel de Avida, autre OVNI réalisé deux ans plus tard par le binôme grolandais. Absurde jusque dans son titre puisque vidé de toute signification culturelle ou existentielle - Aaltra n'est rien de plus que le nom d'une usine de machines agricoles finlandaise - ce premier long métrage témoigne d'un souci de faire fi du bon goût et autres encombrements moraux, dynamitant les préjugés sociétaux tout en réinventant les codes de la grammaire cinématographique, comme au temps de Luis Bunuel ( échelle des plans très diversifiée ; rythme volontairement lent, lourd et long ; fulgurances oniriques ou ellipses mal raccordées...). Aaltra prend en permanence le spectateur à rebrousse-poil, quitte à privilégier l'idée comique à son effet produit, quitte à l'étirer, l'alourdir ou l'épaissir au détriment d'une rondeur, d'une candeur finalement illusoire - et d'ailleurs totalement étrangère au sujet.


Un très bon film au final, sarcastique et sans concessions qui porte la patte de ses auteurs-réalisateurs. S'ensuivra Avida, autre objet dada-hic en forme de poème visuel lorgnant vers Un chien andalou et l'oeuvre de Bunuel en règle générale. De Aaltra au Grand Soir Kervern et Delépine sont parvenus à créer une filmographie caustique et très irrévérencieuse, d'un talent qui ne demande qu'à se parfaire...

stebbins
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le 10 déc. 2018

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stebbins

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