Abattoir 5
6.7
Abattoir 5

Film de George Roy Hill (1972)

Oui, je sais, cet hommage à David Halliday n'était pas nécessaire. J'ai regardé "Abattoir 5" sans avoir la moindre connaissance du scénario, de la réalisation ou de quoi que ce soit, et avant de déverser une critique à chaud un samedi matin alors que je l'ai regardé dimanche midi (le temps n'est plus ce qu'il était) j'ai quand même voulu réfléchir à l'OFNI considérable qui venait de s'offrir à moi. La vérité universelle, c'est que par de là un film ou une œuvre en général, son créateur se livre, d'une manière ou d'une autre. Il est possible qu'un réalisateur soit un sac à merde lamentable attiré par le pognon, et décide de faire un film sur Far Cry. En l'occurrence, ici, nous avons George Roy Hill, mettant sur grand écran l’œuvre ultra personnelle de Kurt Vonnegut. Sans avoir lu le bouquin, je connais néanmoins le réalisateur. Il dira que Abattoir 5 est son film préféré, ce qui n'était pourtant pas du goût des critiques. N'en déplaise à ceux là, je l'ai aimé moi ton film George ! (Spoile inévitable)


L'histoire d'un mec


C'est l'histoire de Billy Pillgrim qui a la capacité d'avoir une conscience aussi volatile qu'un sac carrefour pris dans le Mistral, se baladant dans le passé, le présent et le futur. Il se fait arrêter par les nazis, met un manteau de femme, trouve un diamant, regarde un magazine porno, regarde un film érotique avec ses enfants, il soudoie des flics, survit à un accident d'avion, se retrouve sur la planète Tralfamadore, se fait écraser par une pendule, et devient papa avec son actrice de fesse favorite. En voilà grosso merdo l'histoire. On notera les trois époques importantes de la narration : le passé où notre ami est prisonnier des nazis pendant la seconde guerre mondiale dans la ville de Dresde ; le présent ou il est riche opticien vivant le rêve américain, et le futur, où il est enfermé sur la planète Traflamadore où des voix invisibles se tapent des queues dans une espèce de veranda en forme de Magic 8 Ball.


Les horreurs de la mort


Je commencerai par le premier point le plus important du film, le traitement fait sur la 2ème GM. Il est très loin de tous les autres films du genre. On est loin des explosions, loin des horreurs des camps, et loin des stéréotypes des gentils amerloques et des méchants nazis. Ici, on entre plus dans le traitement fait aux soldats américains qui sont "logés" dans la ville de Dresde, avec l'accueil en chanson avec joie et bonne humeur alors que de l 'autre côté des barbelés, les juifs subissent ce spectacle niais. On a également l'erreur faite par la croix rouge qui livre 10 fois plus de nourriture que nécessaire aux soldats anglais, que personne n'ose dénoncer. On assiste également à la propagande faite par un soldat nazi américain, tentant de manipuler les jeunes soldats au drapeau étoilé à venir rejoindre la cause allemande. J'exagère à peine en disant que l'horreur n'est presque pas vécu durant la guerre, du moins avant le bombardement. Est-ce que j'exagère George ?


Les horreurs de la vie


L'autre grosse période présente dans le film, c'est le présent, celle où Billy a survécu aux horreurs de la guerre, et se lance dans une carrière prestigieuse d'opticien, où il fera fortune. Après la deuxième guerre, c'est le début de l'American Dream, la société de consommation à grande échelle, et Billy se jette tête la première dedans. La grosse maison, les deux enfants, la femme "moderne", tout paraît artificiel, superficiel, notamment avec cette scène où Billy offre à sa femme une voiture qui lui promet de maigrir en retour. On sent que Billy s'emmerde dans cette vie "parfaite", où même le temps d'un instant en regardant les étoiles, il rêve de partir loin de cette vie. Et puisqu'on est en 1972, n'oublions pas également la petite pointe dénonciatrice de la guerre au Vietnam avec Billy ne tirant aucune fierté de l'engagement de son fils qui n'est plus un sombre petit connard comme à l'époque où il dégradait les tombes des catholiques.


Voyage ...


On peut penser que tout cela est vrai. Qu'un homme est capable de voyager dans une vie non linéaire, de revivre certains instants jusqu'à épuisement. On peut en effet se dire que malgré une œuvre signé Bach, son célèbre Concerto n° 5 en Fa mineur, on a à faire à une œuvre majeur du cinéma SF. Après tout, le titre original est "Slaughterhouse Five" et comme vous le voyez, les initiales sont "SF", n'est pas la preuve irréfutable que c'est un film de SF ? Et d'ailleurs, n'y a t-il pas meilleur moyen que de dépeindre la réalité par la SF ? Ooooooooh, doute, tu es si cruel … Pouf pouf … on peut également penser que cette faculté est inventé. Que ce futur sur cette planète lointaine n'est pas. Pour info, les tralfamadoriens, même si invisible dans le film (et heureusement, sinon on aurait plongé dans la série B de mauvaise qualité)n sont des bras avec une main (jusque là tout va bien), et au milieu de cette main, un œil. Comme dans le labyrinthe de Pan.


Ou rêve ?


Bref, notre Billy n'est réellement connecté qu'avec un seul être dans tout le film, et c'est son putain de clébard. On relève forcément son côté dépressif, alors qu'il se fout de sa propre mort promise par Paul Lazzaro, il se préoccupe par contre de la fin du monde annoncée par les habitants de la planète étrangère, qui pourrait ainsi mettre un terme à son "voyage". Son passage à l'hôpital psychiatrique pourrait être la première preuve de sa réalité fabriquée, il s'enferme dans un cocon personnifié par cette boule de glace dans l'espace, s'évadant de tout ce qu'il a vécu jusqu'ici, les horreurs de la guerre jusqu'aux horreurs de sa vie. Son enfance, le bombardement, ce rêve américain lamentable (notons l'ironie de voir les Américains bombarder Dresde, est-ce bien raisonnable ? Dixit Desproges), tout ça débouchant sur un point : L'évasion la plus totale sur cette putain de planète, aux bras de son actrice érotique fantasmée à plusieurs reprises tout au long du film. Si ça c'est pas un bras d'honneur immense à la vie qu'il a vécu jusqu'à présent ...


D'une époque à l'autre, d'un genre à l'autre


Si le film a bien une force, c'est l'immense travail sur les transitions qu'il nous offre, aussi bien visuel que sonore (le bruit des électrochocs transformé en sifflement du train arrivant en gare, Billy vieux allongé sur le sol, puis jeune allongé sur un bac dans la ville bombardée). Ces transitions nous montrent le lien entre les événements importants qui composent la vie de Billy, puis provoque chez lui des sensations de déjà-vu, de vie déjà vécu (Les époques sont très rarement juxtaposé, si ne n'est le discours du représentant américain avec le discours de Billy au Lion's Club). Ces effets de transitions sont la force du film, le montage et la réalisation sont parfaitement maîtrisés et renforce l'impression que Billy n'est qu'un passager de sa propre vie, qu'il n'a aucune incidence dessus, soit le parfait opposé du personnage interprété par Amy Adams dans Arrival où l'on retrouve pas mal de similitude sur le traitement d'une vie non linéaire, ou également le personnage de Jared Leto dans Mr. Nobody. Si le film n'a pas de mal à passer d'une époque à une autre, on change de genre aussi souvent, alternant entre le drame et la comédie (guerre puis ambiance joyeuse avec les soldats prisonniers ; scène de poursuite à la Blues Brothers puis décès de sa femme), mélange de sentiments opposés, comme dans toute vie tout simplement. On passe d'un genre à l'autre, d'une émotion à l'autre, aussi aléatoirement que le personnage.


Conclusion


Certes on peut reprocher à Abattoir 5 d'avoir mal vieilli, de traiter d'un sujet qui était contemporain, avec des façons contemporaines. Aujourd'hui verrons nous encore l'image des femmes traité de la même façon que dans les films des années 70 ? Mais je ne reprocherai pas à Abattoir 5 de marcher là où il veut marcher. Je salue l'excellent travail d'interprétation de Michael Sacks en monsieur tout le monde abutyrotomofilogène, je salue le travail sur le montage, la réalisation et la musique. Je salue la VF pour ces pépites du genre "On est au milieu des frites espèce de trou du cul" ou encore "Je ferai de ton cul une passoire en le criblant de chevrotine si je te reprends à fumer", et je salue les bonus du DVD qui offre une belle analyse de Jean-Baptiste Thoret. Et je salue le message quasi déprimant, mais doux (comme la musique de Bach), du film. Après tout, le passé, le présent, le futur, tout ça, ça n'est qu'une succession de souvenirs vécus ou restants à l'être.


Bon Film:)

P-D
8
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Créée

le 12 juin 2017

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