L'histoire d'immigrés birmans en quête d'identité

Entre le trafic de drogue, tenter sa chance dans une mine de jade et l’émigration clandestine, les birmans n’ont pas beaucoup de choix pour échapper à la pauvreté. Adieu Mandalay du réalisateur Midi Z, explore la troisième option.


D’après le dossier de presse du film, le script d’ADIEU MANDALAY est ainsi issu de la juxtaposition de plusieurs éléments intimement liées à son réalisateur d’origine birmane Midi Z: l’histoire de ses frères et sœurs émigrés de Birmanie vers la Thaïlande à la fin des années 90, un fait divers tragique raconté par son père lorsqu’il était jeune (que nous ne divulguerons pas) et enfin, un travail d’immersion documentaire effectué entre 2008 et 2011 par Midi Z lui-même, dans la communauté clandestine birmane, en Thaïlande.


Mais, à l’image d’un film comme Valse avec Bachir d’Ari Folman ou même du Lemonade de Beyonce, ADIEU MANDALAY est à voir comme ce genre d’oeuvre transcendant les obsessions et l’histoire personnelle de leur auteur pour devenir un objet de cinéma conjuguant parfaitement fond, forme et divertissement (au sens pascalien du terme, d’histoires suffisamment singulières pour détourner un spectateur de son quotidien et de sa réalité), dans un but de renseigner sur l’état du monde, et propager de profonds questionnements existentiels.
Ici précisément, Midi Z traite d’identités. Émotionnelles, économiques, sociales, politiques, administratives… Ses personnages la recherchent désespérément, ce qui constitue la déjà puissante base tragique du film tout en l’inscrivant dans un contexte socioculturel précis. Hors, ces quêtes individuelles nous seraient probablement hermétiques sans l’apport personnel du réalisateur, son vécu et son empathie (dont nous parlions plus haut), ainsi que son identité artistique dont nous parlerons plus bas. Identités qui, paradoxalement, sont nées du déracinement puisque Midi Z justement, eut “la chance” de faire des études de cinéma à Taiwan, et “d’échapper” ainsi au probable destin d’émigré Birman en Thaïlande; un vécu qui lui donna suffisamment d’indépendance économique ainsi qu’une personnalité artistique assez forte pour réaliser des films aussi variés que The Palace on the Sea, ou ADIEU MANDALAY. Il y a ainsi à voir une boucle extrêmement cohérente lorsque l’on y regarde de plus près, réunissant catharsis, Cinéma, et ambitions documentaires.


Dans le détail, ADIEU MANDALAY donne dans sa première partie un aperçu quasi documentaire de ce que peut signifier “vivre dans la clandestinité”, pour ces quelque 2 millions d’immigrés Birmans vivant en Thaïlande, à travers le parcours d’une femme, et d’un homme. De l’entrée illégale en Thaïlande (contrôles frontaliers, transports, etc.), à l’installation dans une nouvelle vie urbaine et clandestine, en passant par les retrouvailles avec les connaissances, ou l’inévitable confrontation avec les désillusions inhérentes à l’illégalité. Sans misérabilisme, en laissant une grande part à l’imagination (nous ne saurons jamais les raisons – politiques, sociales ou personnelles -, de l’émigration d’aucun des protagonistes), ADIEU MANDALAY nous immerge dans une réalité où la nécessité de travailler, avant même la question de l’argent, se confronte à l’obligation de faire profil bas face aux diverses humiliations pour maintenir sa position – clandestine.


Puis, au fur et à mesure du récit, les personnages “gagnent” une histoire.
Le hors-champ s’étoffe progressivement (le rapport à la Birmanie notamment). Des relations naissent, sociales, affectives. L’identité émotionnelle des protagonistes devient de plus en plus palpable, et s’ajoute à leur capacité à rendre compte de la réalité de la clandestinité. Leurs quêtes prennent un atour intime au delà du social, deviennent plus viscérales. La tragédie germe avec l’attachement – celui existant entre les personnages, celui du spectateur envers ces mêmes personnages.


Du point de vue de la réalisation, dans cette seconde partie la caméra reste très fixe mais se fait plus ostentatoire, grâce à une composition de cadres plus onirique et poétique. Il y a une mise en scène des environnements autour des personnages (brouillards, moiteurs, humidités), générant des ambiances marquantes et de beaux tableaux (la fabrique de tissus, la fête, la campagne frontalière). L’image renseigne ainsi au même titre que la musique (passant d’ailleurs d’absente, à intra et extra-diégétique), sur l’état émotionnel mais aussi physique, légal, et social, des protagonistes. Leur identité nous apparaît: la femme devient véritablement Liangqing, qui cherche à obtenir la légalité, et par là la reconnaissance; l’homme devient véritablement Guo, en quête d’affection, d’une raison d’exister. Notre empathie pour leur situation et celle de leurs semblables se transforme en empathie pour eux, Liangqing et Guo, leur “couple”, leurs destins, leur tragédie, et nous emmène de concert avec eux vers le dénouement romantique et provocateur de leur histoire.


Nous avions découvert Midi Z en 2016 avec le court-métrage The Palace on the Sea, qui nous avait à l’époque rappelé le travail d’Apichatpong Weerasethakul par sa nébuleuse mais évocatrice richesse thématique, nichée au cœur d’un travail formel beau et sobre – un film fascinant malgré son caractère hermétique, qui semblait n’être que l’une des vaporeuses facettes d’une oeuvre d’auteur très attachée aux questions du souvenir et de l’identité.
ADIEU MANDALAY nous apparaît quant à lui comme une sorte de contrepoint direct de The Palace on the Sea. Tout aussi fascinant, mais bien plus accessible malgré un sujet en théorie très éloigné de nous – la situation des immigrés birmans en Thaïlande. Une accessibilité qui ne se résume pas à l’exposition documentaire de ce sujet, mais qui provient plutôt de la façon dont Midi Z le relie, par son subtil talent en matière de cinéma et de narration, à sa propre histoire.


Par Georgeslechameau pour Le Blog du Cinéma

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le 22 avr. 2017

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