Avec Adieu Mandalay son quatrième long-métrage, le réalisateur Midi Z (taïwanais né en Birmanie), s’intéresse à la précarité liée à l’immigration, avec l’itinéraire de Lianqing (Wu Ke-xi), petit bout de femme de 23 ans, mince (presque maigre), joli visage fin, féminine et déterminée, qui fuit la Birmanie dans l’espoir d’une vie meilleure à Bangkok (Thaïlande), tout en ayant bien en tête que l’endroit n’est pas forcément son but ultime. La légèreté et l’humour ne sont donc pas au programme.


Si Lianqing pouvait compter uniquement sur ses propres moyens, elle n’hésiterait probablement pas une seconde. Alors, même si le film passe son passé sous silence, on comprend rapidement que, ne se faisant aucune illusion sur les motivations intéressées des uns et des autres, la jeune femme considère que seul l’argent lui ouvrira les portes auxquelles elle souhaite toquer. En payant, Lianqing passe en Thaïlande, mais clandestinement et donc sans permis de travail. La porte ouverte… pour des abus de toutes sortes.


L’obstination de Lianqing se heurte à un événement inattendu : Guo (Kai Ko), un compatriote aide la jeune femme, en tombe amoureux et fait tout ce qui est en son pouvoir pour la protéger, lui apporter réconfort et marques de tendresse. Jaugeant la situation, Lianqing s’adapte sans perdre de vue son souhait d’un travail lui assurant une vie décente. Concernant la relation entre Lianqing et Guo, le film incite le spectateur à interpréter une scène où tout porte à croire à une ellipse, créant bien plus tard surprise et doute quand Lianqing répond à des questions précises. A cette occasion, un détail laisse perplexe, puisque Lianqing prépare un interrogatoire avec un incroyable effort de mémorisation qui sonne bizarrement.


Peu bavard, le film détaille cette opposition entre les efforts de Lianqing pour assurer son avenir, et ceux de Guo pour séduire la jeune femme. Tout cela se passe dans une ambiance difficile, car Lianqing la courageuse se trouve rapidement exploitée et honteusement taxée par ceux qui assurent pouvoir lui obtenir un permis de travail.


Des emplois, Lianqing en trouve néanmoins, dans des conditions plus ou moins dégradantes, en particulier dans l’usine (filature) où travaille Guo. Là, le patron lui dit d’oublier la Thaïlande et Bangkok (site situé à l’écart de la ville), désormais elle appartient à l’usine et elle n’existe plus que par le numéro qui lui est affecté. D’ailleurs, c’est ainsi qu’on l’appelle pour recevoir sa paye (dans une enveloppe).


Quelque chose qu’elle accepte, car probablement du même ordre de ce qu’elle a connu en Birmanie où elle venait d’un quartier avec des blocs repérés par des lettres. Et, quand elle appelle sa famille restée au pays, elle le fait d’une cabine au bord d’une rue très passante où son anonymat ressort.


Très réussie (esthétique et symbolique), l’affiche montre Lianqing de face attacher un faisceau de cordes grossières pour constituer une sorte d’écheveau qui dresse un obstacle vis-à-vis de Guo qui lui fait face et la fixe du regard, un regard qu’elle évite en se concentrant sur son travail. Lianqing se protège comme elle peut, tandis que les activités des deux protagonistes montrent leur divergence de vues.


Si on peut considérer qu’il s’agit d’un film à caractère social, on peut regretter que le réalisateur ne trouve que trop rarement l’occasion de donner une véritable humanité à ses personnages. Lianqing reste constamment fermée, concentrée exclusivement sur ce qu’elle vient chercher en Thaïlande. Guo agit par passion ou désir, jusqu’à l’obsession aveugle, l’envie de possession. Les autres personnages, malgré quelques moments forts, ne sont là que pour illustrer les obstacles auxquels Lianqing se heurte. Il est très noir, le tableau dressé par Midi Z de l’atmosphère de notre époque (gageons que les états d’âme ici illustrés ne se limitent pas à certaines régions d’Asie). La (petite) déception vient aussi du fait que le réalisateur se limite à un constat, ne donnant aucune piste pour éviter que les drames s’enchainent.


Pourtant, avec son goût pour les plans fixes (où le hors champ prend de l’importance), il montre une belle capacité pour instaurer une atmosphère et interpeller le spectateur. Exemple avec la scène d’ouverture, lente et très belle, où la bande-son (discrète pendant tout le film) utilise les bruits de la nature : oiseaux, insectes, eau qui coule. Deux personnes impossibles à identifier à cause de la distance, montent dans une embarcation sur une rivière. En les voyant approcher, on comprend qu’un homme dirige l’embarcation (avec une simple perche). Pour le premier dialogue (à quoi bon parler quand les relations sont juste intéressées), il faudra attendre que sa passagère, débarquée sur l’autre berge négocie un prix avec celui qui l’emmènera sur route pour la suite du voyage. Le ton est donné.


Un film qui risque de rebuter les amateurs de spectaculaire, en affichant ses choix d’emblée et en prenant son temps pour bien faire sentir la dureté de notre époque, avec des relations humaines dominées par l’intérêt. Des siècles de civilisation pour en arriver là…

Electron
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le 5 mai 2017

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