Adoption est un film sur le désir d'enfant, dans la Hongrie des années 70. Marta Mészaros s'est toujours défendue d'être féministe, bien qu'elle soit la première femme à avoir signé un long métrage dans son pays. Sans doute parce que son point de vue se garde de tout militantisme. Elle se contente de nous faire partager le vécu d'une femme de 42 ans qui n'a pas encore enfanté, et en souffre. Cela nous vaut un film tout en nuances, ce qui ne nuit pas à la force du propos, bien au contraire.


Les hommes ne sont pas des salauds dans Adoption : Joska n'a que faire d'un enfant, déjà fort occupé à mentir à sa femme, on peut comprendre son point de vue (même si le mensonge, bon...) ; le directeur se montre coopératif, de même que le médecin. Marta Mészaros veut surtout montrer à quoi sont confrontées les femmes dans la Hongrie de son époque, à travers deux générations. Kata a un métier, un logement, une certaine assurance, mais il lui manque d'avoir enfanté, elle dégage une tristesse insondable. Elle va retrouver la gaité au contact d'Anna, une adolescente placée en pension, bridée, elle, par sa dépendance vis-à-vis des adultes. Kata va libérer Anna de ce carcan, et va retrouver dans ce parcours une vigueur de nouvelle : de quoi assumer d'adopter.


La relation est rêche au départ, ce qui rend d'autant plus émouvantes les scènes d'effusion qui vont suivre : au restaurant, Anna et Kata s'abandonnent à un baiser dans le cou ; dans l'appartement, Kata sèche les cheveux d'Anna ; chaque sourire de l'une ou de l'autre est touchant, tant on ressent que les deux femmes relèvent un peu la tête hors de l'eau. Une relation qui pourrait être ambiguë, mais Marta Mészaros ne va pas sur ce terrain, et la gifle qu'elle donne à Anna est plus celle d'une mère à sa fille qu'une dispute de couple.


Formellement, c'est admirable :
- Nombreux gros plans sur la peau, de Kata d'abord prenant une douche, de Kata auscultée par le médecin, puis d'Anna et son amant (j'ai pensé au Bonheur d'Agnès Varda), enfin d'Anna à son tour sous la douche.
- Plans de visages passionnants, d'abord lorsque Kata visite la pension de jeunes filles à la recherche d'Anna, puis les visages des hommes au restaurant, puis les convives lors de la longue scène de la noce, enfin dans l'orphelinat... j'ai pensé aux premiers Pasolini, où les visages ont aussi cette force... on pourrait aussi citer Bergman.
- Beaucoup de belles idées de mise en scène, comme le traitement quasi abstrait des scènes d'usine ; cette lampe de chevet de Kata qui brille ; le grillage, et les chiens qui aboient chez les "parents" d'Anna (le travail sur le son doit aussi être salué).


Et puis le film dégage une grande force sur le plan humain, comme dans la scène de la lettre d'Anna à ses parents, lue par sa copine. La scène terrible de la lettre dictée au fiancé. La confrontation de l'amante et de la femme de Joska. Et bien sûr, la scène finale, où Kata court prendre un bus, haletant, son bébé dans les bras : on ressent le caractère éphémère de cette victoire.


Tout cela s'écoule avec une grande fluidité : aucune scène inutile, le film trace implacablement son sillon. Beau et émouvant.


7,5

Jduvi
8
Écrit par

Créée

le 6 sept. 2019

Critique lue 530 fois

8 j'aime

Jduvi

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