"After hours " est un film assez extraordinaire, une respiration étonnante dans l'oeuvre de Scorsese. Ce film est en apparence une comédie assez noire et burlesque sur un pauvre gars qui accumule tant de catastrophes durant une soirée qu'il est incapable de rentrer chez lui. En apparence seulement... Loin d'être surréaliste, il s'y déroule une logique implacable et presque sinistre.


Car il y a un sous-texte tout-à-fait cohérent à cette histoire anecdotique. Scorcese ne nous parle pas juste de poisse, de loi de murphy, ou de ce quartier bohème de New-York qu'est le Soho, il nous parle d'angoisse sexuelle, de peur face à l"autre et de quasi-retour en enfance. Paul (excellent Griffin Dunne) son trop sage héros, descend aux Enfers, tourmenté par les femmes qu'il rencontre et qu'il ne comprend pas...


Je propose ici des pistes possibles sur ce petit film et donc y enchaîne les spoilers. Soyez prévenus.


Premier menace, très légère: Marcie, la première femme que rencontre Paul, jouée par Rosanna Arquette, le séduit, le visage éclairé par une lumière rouge alternante (d'ambulance, de pompier). Il va coûter cher à Paul de passer outre cet avertissement...


Elle l'invite à la retrouver chez elle et là tout bascule avec la deuxième menace : car Marcie n'y est pas et à sa place il trouve une autre femme, dominant la forme d'un homme humilié en plein cri. (Il s'agit d'une statue..). Encore quelques minutes et il sera accusé d'avoir violenté cette co-locatrice de Marcie (il a en fait juste échoué à éveiller son désir et l'a littéralement endormie...)


Troisième menace: la scarification . Les circonstances amènent Paul à croire que la femme qu'il convoite est atrocement brûlée, jetant comme indice des crèmes,des photos ,des avertissements verbaux. Loin de vouloir la déshabiller, voilà qu'il la craint, elle, son sexe, sa possible difformité, son désir à lui est anéanti, son désir à elle devenu ennemi.


Quatrième menace. Échappé de ce qui est devenu un traquenard, il trouve refuge dans un bar. Là il tombe en arrêt devant un graffiti sur lequel la caméra zoome lentement : un requin qui bouffe le sexe d'un baigneur. "Je vous fais un dessin?" semble nous dire Scorcese...


Obligé de revenir chez Marcie, il y rencontre un inquiétant couple sado-maso qui le menacent assez clairement et l'enferment (beaucoup de clés dans ce film, beaucoup d'intrusions et d'expulsion violentes...) avec Marcie... Qui est morte... A l'horreur de la situation s'ajoute le soupçon que son refus de performer, sa méfiance vis- vis du sexe, a provoqué un drame. Dans la mort, Marcie redevient désirable (pas de cicatrice redoutable mais un tatouage funèbre et un long déroulé érotique), mais il est trop tard.


Paul va ensuite se réfugier chez Julie, une serveuse trop entreprenante dont le lit est... entourée de pièges à souris (une souris est vue en train d'y mourir). Nouvelle menace féminine donc, nouvelle castration, Scorcese n'y va pas avec le dos de la cuillère. Paul essaye encore maladroitement de ne pas coucher avec cette femme, et s'enfuit comme il s'est enfui de chez Marcie.


Sa prochaine rencontre sera une femme qui, sous prétexte de le guérir d'une blessure, le traîne chez elle et quand elle veut le soigner, il y voit une agression. Immense malentendu, mais rien de surprenant à ce stade.... Il n'est pas anodin que cette femme gère un stand de glace, car Paul est perdu en pleine régression...Il s'enfuit, petit garçon dans la nuit, poursuivi par une musique sucrée...


Maintenant fugitif pourchassé dans le quartier de Soho , il devra subir aussi une "opération" physique et symbolique visant à l'intégrer à cet univers alternatif.
Scorcese fournit alors une planche de salut à notre héros: puisqu'il fuit les femmes fortes, il lui donne à rencontrer l'opposé exact de sa névrose: un homosexuel timide. Sans plus de succès, car le voilà de nouveau en cavale...


Il trouvera refuge finalement chez une ultime femme, plus mure, image quasi- maternelle en fait, qui le sauvera en le transformant en ce qu'il a vu au début du film : une statue hurlant silencieusement , être immature dans son cocon (qui éclora comme un oeuf !) devant les portes de son bureau., cet univers asexué et surtout impersonnel.. Ayant échoué à interagir avec les adultes (, co-worker, taxi, flic, employé, barman et les multiples femmes), Paul est accueilli ironiquement par ce qu'il maîtrise mieux que les rapports humains : son ordinateur... :-)


Les épreuves que subit Paul dans le quartier "alternatif" de Soho ( on y rencontre en effet des formes "menaçantes" sexuelles ou sociales qui effraient notre gentil informaticien) ne sont pas tant dues à une malchance crasse qu'à la cristallisation soudaine de ses angoisses personnelles, de sa peur du sexe et de son rapport mal géré aux femmes. Scorcese a réalisé là un "parkour" assez bluffant sur l'immaturité , et sur l'angoisse et les affres d'une sexualité vue au travers d'un prisme d'anxiété.


Un film très cohérent donc, auquel sa mécanique burlesque donne tout-à-fait un ton de comédie, mais ne vous y trompez- pas, le sentiment d’hébétement de Paul quand il remonte à la surface du monde vient de plus loin qu'il n'y parait.
After Hours ,un poil sous-estimé sur SC , est de loin mon Scorcese favori, et je vous le recommande urgemment , guys et guyzettes :-)

nostromo
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le 1 avr. 2016

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nostromo

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