Oh comme j’aimais, encore bambin, quand arrivait le moment où James Bond se retrouvait face à la bombe. Le voir penché, légèrement suant, sur ce fatras de fils multicolores, la pince à la main, pendant qu’un effrayant compte à rebours rappelait au héros débordé mais vaillant que s’il ne se décidait pas fissa, tout finirait par exploser. Bien sûr on savait bien, au fond de nos fauteuils, que 2 secondes avant le 0:00 fatal c’est le bon fil qui serait sectionné, n’empêche ce qu’on tremblait !


Et maintenant que les années aux années se sont accumulées, et que l’occasion de redevenir crédule et innocent se fait toujours plus rare, je me demande si une métaphore ne pourrait pas se cacher derrière ces engins infernaux. Une image à peine transposée : le film d’aventure comme une mécanique délicate qu’il s’agit de manier avec la plus grande dextérité. Mauvais dosage et tout explose. Un peu trop de sérieux, version Mendes, et l’on vire dans le pensum tragique. Un peu trop de message, façon Nolan, et tout devient souligné et voulu. Un peu trop d’égo, façon Tom Cruise, et il devient impossible de se laisser aller au simple plaisir du spectacle. Autant d’écueils que Ritchie déjoue assez finement, avec une décontraction et un humour tout personnels qui lui valent immanquablement le pire des reproches – comment peut-on être si creux ?


À mes yeux, au contraire, Ritchie joue de sa bombe avec un atout dans la manche : il n’a pas peur du pas de côté. L'avantage d’être britannique à Hollywood ? Son credo agace, mais moi il me plaît. Il préfère être léger. Ce n’est pas si facile pourtant. Personnages insipides ? Intrigue inexistante ? Mais n’est-ce pas là un choix plutôt qu’un manque. Le choix d’aller à fond dans l’apparence, puisqu’au fond le divertissement n’est rien d’autre qu’une mise en scène rusée du néant. D’où l’attention aux décors, à l’image, le soin méticuleux porté à l’élégance - des gestes, des répliques, des tenues, ô divines années soixantes - et l’utilisation inspirée d’une musique toujours parfaite, quel que soit le compositeur choisi, Desplat hier Pemberton aujourd’hui. Éloge de la surface, comme d'une peau offerte à toutes les caresses.


Alors oui, Agents très spéciaux tient surtout à son ambiance, à son ton, à son sens du rythme (et qui dit rythme peut aussi vouloir dire alternance du rapide et du lent), un film où ce qui compte n’est pas ce que l’on dit mais comment on le dit : du bout des lèvres, pour le plaisir de l’instant. Mais justement, une aventure, qu’elle soit affaire d’amour ou d’espionnage, ne tire-t-elle pas toute sa beauté du fait qu'elle n’aura pas de lendemain ? Se permettant le luxe de vivre tout d’un coup dans un présent éternel, fût-il illusoire, l'éternel présent des jeux d’enfants, précisément.

Chaiev
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le 17 sept. 2015

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