Avec la reprise en main de l’univers de Lewis Carroll par l’entreprise Disney, qui décide de faire une suite à son classique en dessin animé en la confiant à un artiste talentueux, Tim Burton, maître de l’imaginaire et des personnages à la marge, les attentes étaient fortes. Le film sera un grand succès, couronné de deux Oscars et aura même droit à sa suite en 2016, sans Tim.
J’étais allé le voir au cinéma, assez confiant. Et même si j’avais eu du mal au début à me fondre dedans, j’avais fini par me laisser porter. Ce n’est plus le cas.
L’idée de faire une suite dans le même univers fantastique et coloré d’Alice n’a rien de bien révolutionnaire, Lewis Carroll l’avait déjà fait avec De l’autre côté du miroir, 6 ans après son oeuvre totémique. Mais ici dans cette nouvelle version de Disney la compagnie semble ne pas avoir su trancher. Ce que l’on découvre c’est qu’Alice est déjà venue dans le monde imaginaire, même si elle l’a oublié. C’est en tout cas ce que veulent croire les protagonistes qui l’accueillent, avant d’hésiter, tandis que le spectateur sait qu’elle fait des rêves étranges qui remontent à son passé.
Mais le film évite le lien formel avec le dessin animé. Il quitte l’animation traditionnelle pour des acteurs et beaucoup de mise en forme numérique tout autour, métamorphosant même différents comédiens, dans une esthétique baroque et colorée qui agresse les yeux. La folie visuelle de ce monde est montée d’un cran, le surréalisme de ses personnages est accentué, d’autant plus quand ils mélangent acteurs et effets spéciaux. L’invité du monde des humains, qu’il s’agisse d’Alice ou du lecteur ou d’un spectateur ne doit pas se sentir à l’aise dans cet univers, il doit être décontenancé, mais ici il l’est à cause d’une débauche colorée et d”effets spéciaux modernes. D’autant plus qu’en ayant la main aussi lourde sur les effets spéciaux, ses mauvaises incrustations jurent, et ce n’est plus un autre monde qui se présente mais un décor factice. L’Oscar de la meilleure direction artistique semble daté, surtout face à Inception qui était nommé la même année.
D’autant plus que cette suite tente de créer de la cohérence dans cet univers, lui qui était surtout le cadre de personnages farfelus évoluant dans leur propre monde. La trame globale est celle d’une résistance contre la Reine de coeur, despote capricieuse du royaume, amusante Helena Bonham Carter, contre laquelle chaque créature doit soit se plier soit se rebeller. Un espoir réside dans le territoire de la Reine blanche, évanescente Anne Hattaway, sans qu’on ne sache trop pourquoi, tant elle est peu active, et bien sûr en Alice, accompagnée du Chapelier fou. Le personnage est devenu central, bourré de tics, sa folie semblant traumatique. Un rôle exubérant pour un Johnny Depp qui s’amuse, mais un peu trop omniprésent.
Tout ceci apparait donc terriblement convenu, avec cette histoire de despote, de résistance et d’élue, et même des gros monstres et une grande bataille à la fin qui réunit tous les personnages. Seul le cadre bigarré permet d’atténuer la reprise des clichés. L’inspiration est évidente, dans celle des grandes sagas des années 2000, proche des films du Seigneur des Anneaux ou d’Harry Potter, et on se demande si Disney n’aurait pas voulu elle aussi, sa part du gâteau avec cette adaptation. Malheureusement, la compagnie le fait mal, elle perd l’absurde, l’absence de sens ou des personnages ambigus, pour une habituelle réecriture du bien contre le mal.
Pour autant, en voulant faire cette reprise un peu épique, un peu plus musclée, elle réussit bien mieux l’un de ses composants majeurs, résidant dans le personnage d’Alice. L’introduction est un peu forcée, dans ce monde réel avec cette aristocratie hypocrite et soucieuse des apparences, un modèle que la jeune fille est mal à l’aise à l’idée de perpétuer. Son arrivée dans le pays des Merveilles ne la protège pas autant, puisqu’à nouveau on lui demande de se conformer à l’image que les créatures ont voulu conserver d’Alice, et surtout de répondre au mieux aux espoirs placés en elle. Bien évidemment, au vu de la faible ambiguïté entre le bien et le mal dans cette adaptation, Alice fera le choix évident de se ranger du bon côté, mais cela ne se fera pas de suite. Confrontée aux attentes des autres personnages, au regard extérieur, le récit initiatique d’Alice est peut-être assez simple, mais tout de même plaisant. La jeune et troublante Mia Wasikowska, à la beauté glacée, au jeu un peu boudeur, fait en tout cas une très bonne interprète d’Alice, sans la naïveté attendue mais avec une forte méfiance face à ce monde.
Tous les critères étaient encourageants pour cette nouvelle version, et même si on sent la patte de Burton c’est surtout la griffe de Disney qui se devine le plus, au contraire du Dumbo de 2019. Alice au pays des merveilles reprend un univers bien connu pour les proposer dans un film à la structure classique et au visuel repoussant, qui a bien mal vieilli.