Les derniers films du grand Tim Burton avaient laissé planer le doute. Depuis Big Fish en 2003, le réalisateur semblait s'être détaché de son univers sombrement et délicieusement gothique (Sleepy Hollow) pour un monde plus féerique et enfantin mais ne faisant pas l'unanimité, à l'instar de son adaptation de Charlie et la Chocolaterie. Mais la sortie de sa comédie musicale sanglante Sweeney Todd avait remis les comptes à zéro, et peu de monde pouvait prétendre quelle direction avait pris le cinéaste pour son prochain film : une adaptation libre d'Alice au Pays des Merveilles et sa suite par Lewis Caroll, qui, sous ses façades de contes gentillets, cache une véritable malaise, destinant le livre aussi bien aux adultes qu'aux enfants.

Dés les premières minutes, Burton semble revenu aux origines et à sa gloire passée. Soutenu par la composition toujours aussi superbe de Danny Elfmann (mais malheureusement jouant un peu trop la carte du déjà entendu tant la ressemblance avec la bande originale de Charlie est frappante), le cinéaste nous plonge dans une Angleterre Victorienne d'une grande beauté et laissant transparaitre quelque chose de sombre sous le vernis de la magnifique photographie de Dariusz Wolski. La découverte du monde nouveau qui s'offre à la jeune fille est tout aussi merveilleux : les décors, magnifiés par la 3D, sont réellement splendides et le look de certains des habitants, tels que Tweedledee et Tweedledum ou encore le Chapelier Fou, sont joliment trouvés.

Seulement, après quelques temps, l'émerveillement laisse place à la déception. Outre le fait que le décor et que les personnages s'avèrent au final plats et sans vie (la nostalgie des marionnettes et du décor en carton pointe le bout de son nez), Tim Burton ne semble plus savoir ou donner de la tête. Le film sombre alors dans une succession de péripéties s'enchainant trop vite, où le spectateur aura du mal à faire le point, et un défilé de personnages, certes beaux et bien habillés, mais ne provoquant d'émotion que chez les plus petits d'entre nous.

C'est alors que la vérité éclate. Tim Burton, père du poétique et torturé Edward aux Mains d'Argent, a perdu les manettes et c'est le magnat de l'attraction et de l'argent, Disney, qui s'en est emparé. Et encore, un Disney affaibli. Le film, devenu trop lisse et mielleux, reposant sur une réflexion sur l'identité tout ce qu'il y a de plus réchauffée et mettant en scène des scènes d'action sans grand suspense (le combat final à la Narnia), ne peut pas être l'enfant pleinement désiré de l'imagination sombre (et pourtant accessibles aux moins de 14 ans) du créateur de Beetlejuice. Les quelques secondes du "guigendélire" du Chapelier (qui manque décidément cruellement de folie – et il en va de même pour toute sa troupe) sur de la musique supposée pop semble confirmer cette triste hypothèse... D'autant plus triste que l'adaptation animée de 1951 semblait beaucoup plus déjantée et malsaine.

Seules quelques scènes, comme cette inquiétante comptine du Chapelier, semblent montrer les douloureux sursauts du cinéaste.
Et que dire de l'interprétation, beaucoup trop inégal. Les acteurs fidèles au réalisateur (le très bon Depp à l'accent russe, comme à son habitude, mais laissant parfois un peu trop transparaitre un gout de Sparrow, et l'excellente et délurée Bonham Carter en tête) parviennent à sortir la tête du trou ce qui n'est pas toujours le cas pour les nouveaux venus (la légèrement fade Wasikowska et le tout simplement mauvais Glover).
Il semble évident et définitif que Tim Burton se sent beaucoup plus dans son élément dans des films plus... "intimistes" (Edward, Beetlejuice et même Batman) que dans des grandes fresques chevaleresques et héroïques, à la Disney.
obben
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le 2 déc. 2011

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obben

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