Ceci n'est pas une simple critique du rêve américain.

Donner 10 au tout premier film de Sam Mendes est peut être hâtif voire subjectif puisqu'il ne révèle pas d'un grand génie cinématographique, cependant, c'est un film qui m'a bouleversé et qui m'a apporté personnellement une réponse, donc si je ne donne pas la note maximale à ce film, à qui la donnerais-je?

Il est compliqué d'analyser American Beauty dans sa totalité, car ses approches sont nombreuses: un rêve américain défaillant, une vision analogue de la "beauté américaine", la place de l'homme qui est cruellement effacé dans le rêve américain, l'évolution vers une plénitude avec soi-même et tout ce qui est extérieur, etc. De plus c'est un thriller renversé où le narrateur nous annonce dès le départ sa mort prochaine, nous invitant à trouver qui sera l'assassin parmi les personnages que l'on rencontre au fur et à mesure du film. Il existe de très bonnes analyses de ce film que l'on peut facilement trouver sur internet, donc je vous épargnerai une analyse détaillée, mais il est important d'évoquer quelques pistes pour bien comprendre l’intérêt de ce film.

On décrit bien souvent American Beauty comme une peinture du rêve américain et de ses imperfections. Le film nous révèle le désordre familial des Burnham au delà d'un cadre conformément idyllique: Carolyn avec ses outils de jardinage et sa permanente impeccable, Lester le père effacé qui travaille conformément dans des bureaux, Jane la jeune ado contradictoire à la fois très mûre qui ne semble pas s'attacher aux apparences et qui pourtant est pompom-girl au lycée et qui économise parcimonieusement la quantité d'argent qui lui sera nécessaire pour se refaire les seins. D'un point de vue "extérieur" le cadre de American Beauty correspond trait pour trait à l'idée que l'on peut se faire de l' "American way of life", mais on comprend vite que le but du film est d'édifier une satire de cet idéal. C'est surtout pour cette raison qu'American Beauty est très drôle, car Lester Burnham passe son temps à démonter un rêve qui une fois à "l'intérieur" n'a plus aucun sens. Sam Mendes joue sur ce contraste entre "extérieur" et "intérieur"; entre "éloignement" et "proximité": l'expression "look closer" revient souvent, ou encore la porte rouge des Burnham qui opère cette séparation entre les apparences et la réalité.

Mais considérer American Beauty comme une simple critique du rêve américain et un simple désir pour le narrateur d'un retour à une vie moins superficielle et plus dynamisante car il ne veut pas vieillir, c'est louper 90% du film. American Beauty n'avait peut être pas pour but d'être aussi riche sur le point de vue de l'analyse (c'est tout de même le premier film de Sam Mendes: il y a forcement des choses qui ressortent et qui n'étaient pas forcement voulues), et pourtant il aborde de nombreux thèmes au delà de la simple histoire d'un quadragénaire qui veut refaire sa vie.

Parlons-en de ce narrateur: Lester Burnham. Kevin Spacey sous les traits de Lester est, depuis mon premier visionnage d'American Beauty, mon héros et mon modèle. Et pourtant dieu sait qu'il est loin d'être un héros: quadragénaire, impotent, "léthargique" et surtout complètement effacé du cadre familial ! Lester Burnham est au début du film le simple accessoire qui ramène l'argent pour faire la popote à la maison, rien de plus: il monte à l’arrière de la voiture, il ne réalise rien de personnel de sa propre initiative, il se contente de vivre et d'être mené au grès de sa femme à la fois monstrueuse et risible. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'American Beauty ce n'est pas le film d'un homme qui veut profiter de sa vie avant de mourir (j'énonce cette possibilité car je l'ai vu tout à l'heure sur Senscritique), c'est le film d'un "réveil", de la transformation d'un personnage "passif" qui devient soudainement "actif", d'un refus de subir son entourage mais surtout, d'un cruel désir de fuir sa condition d'anti-héros. Et oui car c'est ça qui est intéressant avec Lester Burnham: c'est l'un des anti-héros les plus pathétiques du cinéma et le film raconte comment il cherche à se détacher de ce rôle.

En définitive, Lester Burnham c'est quelqu'un qui cherche à se libérer. Et là encore nous approchons un autre thème intéressant du film: l'enfermement. Tous les personnages d'American Beauty sont sans hésitation enfermés et emprisonnés par quelque chose: la norme, l'apparence, le travail, la famille, l'argent, la routine, etc. Lester Burnham figure sur la liste des détenus étant au début du film, complètement bridé par sa routine, par son travail et surtout par sa famille (Carolyn l'a relayé depuis longtemps au rang d'objet, ce qui a donné naissance à une des citations les plus magiques du cinéma: "to keep a dick in a tupperware container"). S'échapper de cette réclusion passe pour Lester, par Angela: la sexualité, la beauté et surtout la jeunesse qui sont symbolisés de manière récurrente par la rose (passion, amour,etc). Peu à peu Lester va opérer un retour vers son passé: il retrouve le job de son adolescence, il fume de l'herbe, écoute des vieux morceaux de rock, s'achète la voiture de ses rêves, etc. L'aboutissement de cette renaissance si dynamique est Angela, et surtout le rapport sexuel qu'il en attend.

Vous pensez que c'est assez pour comprendre le film? Une recherche de libération qui passe par un rajeunissement du personnage? Voyons ce serait superficiel de se contenter de ça, et en réalité, tout ce que je vient d'énoncer n'est peut être que la structure sur quoi repose la véritable morale du film: la réussite d'une plénitude d'esprit avec sois et avec l’extérieur.

Il faut comprendre que certes, Lester se rebelle, mais sa rébellion n'est que partielle. Contrairement à un comportement d'adolescent, il ne fuit pas sa maison, il ne réclame pas le divorce, il abandonne l'idée d'essayer de comprendre sa fille et il ne se fâche même pas de l'adultère de sa femme. Vous remarquerez qu'au final, Lester se détache complètement du cadre familial en menant sa vie comme il l'entend, "enfermé" la plupart du temps (tient tient... A nouveau enfermé) dans son garage. Jetons les mots qui conviennent: au final, Lester c'est celui qui fait la paix avec lui même et son entourage. En étant complètement libéré, il comprend (comme Ricky l'a déjà comprit depuis longtemps) que le bonheur, la beauté, ne réside pas dans l'argent, dans l'apparence, dans la conformité, mais au contraire dans tout ce qui échappe à ces bornes. Souvenez-vous de Lester qui observe avec béatitude la photo de lui, Carolyn et Jane et essayez de revoir sur son visage cette expression si comblée, si sereine, qui est l'aboutissement de sa libération. Je vous épargnerai le monologue de fin de Lester qui résume parfaitement cette idée. Cependant retenons ce passage qui a la réponse pour toutes les personnes qui vivent malheureuses car elles jugent qu'elles vivent oppressées dans un cadre où elles sont ignorées voire méprisées:

"il y a tant de beautés dans le monde. Parfois j'ai l'impression, qu'elle me submerge de partout en même temps, et c’en est trop. Mon coeur se remplit comme un ballon prêt à exploser, et là, je comprend qu'il faut que je lâche prise, que j'arrête d'essayer sans cesse de m'y raccrocher, et ça glisse sur moi comme de la pluie, et je ne peux plus rien éprouver d'autre, que de la gratitude, pour chaque instant, de mon insignifiante, petite, vie."

Faire la paix avec les autres et soi-même, c'est peut être retourner à un état passif, où l'on "accepte" sa condition en se rendant compte que l'on ne peut la transformer complètement. Lester ne retrouvera jamais l'amour de sa femme et il ne pourra jamais en vivre un nouveau avec Angela. Il n'a pas d'autre choix que d'accepter cette vie, mais de l'aimer tel qu'elle est, car avec le recul, il se rend compte qu'il est heureux et qu'il aime sa famille, même si celle ci ne l'aime pas en retour. Lester Burnham est un très beau personnage du cinéma car c'est un homme qui a refusé sa vie en l'acceptant, qui se dresse contre sa condition en s'y pliant.
Cephalopoda
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le 14 janv. 2013

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