I wont compromise
I wont live a life
On my knees,
You think I am nothing, I am noting
You got something coming, someting coming
Because


I hear God’s Whisper
Calling my name
It’s in the winner
I am the savior


Savior
Savior
Savior
Savior


We are Indigos
Living lives we choose
Show you’re brave
Those will fade,
On a mission
Led by Intuition
You should listen
Because


I hear God’s Whisper
Calling my name
It’s in the winner
I am the savior


We are the saviors
We are the saviors
We are the saviors
We are the saviors


.
.
.


Drifters on the Storm


C’est sur ces souveraines paroles de Raury, et l’addictive musique qui les fait s’implanter dans l’esprit en transe du spectateur le plus réceptif, qu’Andrea Arnold boucle la dernière scène d’American Honey, film miséroïdo-festif où danses, chants et désirs du corps semblent assurer une manière de ronde chamanique autour de la linéaire figure du road movie, sans doute le plus existentialiste des genres cinématographiques. Dit comme ça, la chose tient de l’oxymore, du vrai portnawak ! Mais c’est sans compter sur les propriétés magiques dudit genre, lequel a pour vocation de plier l’espace-temps tout en déroulant le fil mémoriel d’un territoire à la fois physique et mental. Ou encore sur celles d’une drôle d’époque, la nôtre, où principes humains, spiritualités et idéologies non rentables ont tout du squelette derrière le masque de Dark Vador, reliques balayées aux quatre vents du néolibéralisme.


Or, il se trouve que cette scène finale figure un pow-wow, danse traditionnelle amérindienne autrefois interdite, parfois utilisée comme acte de résistance, et qui semblent ici garder cette même propriété. Mais alors qu’est-ce qui résiste ? Et à quoi ? Là où Dorothy claque des talons pour sagement rentrer à la maison, Star, elle, danse autour du feu. Puis Jake lui offre (très !) symboliquement une tortue, à laquelle elle redonne sa liberté avant de plonger dans les eaux d’un lac et de renaître au monde, nimbée de cette couleur indigo non dénuée de sens elle aussi. Qu’est-ce à dire que tout ce charabia ? D’abord et avant tout qu’American Honey, en dépit des apparences, n’a rien d’une divagation de fumeur de ganja. Le trip proposé se veut au contraire très pensé, écrit et imagé - trop, diront même les plus adeptes du naturalisme. Sauf que ce film n’est naturaliste ou documentaire qu’en trompe-l’œil. Caméra portée, format d’image 1.37, acteurs pour la plupart non professionnels, montage et lumières que l’on pourra un peu vite qualifier de malickiens : autant de signes qui ne doivent pas tromper.


Le fait est qu’Andrea Arnold est de ces cinéastes qui pondent un film tous les 3 à 5 ans. Autant dire pas vraiment le genre qui improvise ou se contente d’« enregistrer le réel ». Elle serait plutôt une authentique auteure et raconteuse d’histoires, chacun de ses métrages étant écrit par ses propres soins. Ceux qui ont vu son Fish Tank n’auront en ce sens pas de mal à la reconnaître dans American Honey, tant les trajectoires de leurs héroïnes (coming of age brutal) et le regard posé sur leurs environnements respectifs (sans perspective d’avenir) se font écho. Quid de ses choix formels, alors ? Des choix, précisément. En l’occurrence celui de filmer des corps bouillonnant de vie, et d’en retranscrire l’énergie débordante en les faisant régulièrement entrer puis sortir aussi sec du cadre. Comme une façon de dire leur rapport fugitif à une société qui n’a pas plus de prise sur eux que le montage sur la continuité du monde. Un monde dans lequel ils n’existent que dans l’instant, nomades en parfaite adéquation avec le dogme de l’« emploi kleenex », certes, mais aussi libres jouisseurs de nulle part et partout à la fois. Le tout sous les bienveillants rayons d’un Soleil semblant les désigner comme ses enfants-lumières.


At the Pursuit of the Nothingness


Car ce sont tout autant les héritiers des contre-cultures et utopies des 60’s que de la société post-moderne et son « égoïsme rationnel ». Des premières, ils ont retenu sans même le savoir, tout pulsionnels et apolitiques qu’ils sont, le mode de vie hédoniste et communautaire - à moins qu’il s’agisse de pur instinct grégaire ? Des autres, qui leur ont tout pris et en même temps tout appris, leur vient le plus darwinien des sens de la survie. Et pour cause, pour eux, c’est se servir ou mourir, à la Comanche ! D’où, à côté des raies de lumières malickiennes, cette impression diffuse qu’au fond, l’Amérique que filme ici la réalisatrice britannique - elle qui aura au préalable sondé ses fractures en sillonnant son territoire de long en large - cette Amérique-là, donc, serait en quelque sorte une Amérique post-apocalyptique. L’apocalypse en question, silencieuse et consentie par chacun, ayant eu lieu quelque part entre les crises de 1973 et de 2008 en passant par les lois de dé-régularisation de Reagan et Thatcher dans les 80’s. D’où, aussi, le sentiment que ces marchands de tapis ambulants sont les néo-hobos, okies et autres wild boys on the road du pays. Filiation par ailleurs confirmée au détour de deux brefs plans sur des trains filmés depuis les voitures des personnages, comme un passage de relais d’une génération d’outcasts à une autre.


Et de fait, comme autrefois les personnages de John Steinbeck/John Ford, qu’ont-ils à vendre, ces gamins, si ce n’est ce qu’ils ont/sont de plus intime et en même temps virtuel (désir suscité, vrai-faux passé, avenir en toc) ? Rien qui n’ait d’utilité dans l’économie réelle en tout cas. Qu’est-ce qui pourrait bien l’être, d’ailleurs, dans ces banlieues pavillonnaires où tout est déjà acquis, et la charité chrétienne une blague ? Arrivé à un certain stade, après tout, c’est la loi du marché qui veut ça : la « valeur d’échange » supplante la « valeur d’usage ». Traduction : l’échange en lui-même, l’action de vendre/acheter, devient la seule vraie valeur, tandis que l’usage de ce qui est vendu/acheté devient son déchet. Résultat des courses : pas seulement le gaspillage - encore produit-il quelque chose lui -, mais surtout l’abstraction du facteur humain, ligne comptable parmi d’autres, toutes prises dans l’autophagie d’un système où il n’y a de richesse que dans la circulation. Pas de hasard, dès lors, si l’on va d’abord proposer son « rien » là où il y a « tout ». C’est parce qu’en échange de ce rien, il y a là justement tout à (re)prendre. Ainsi en va-t-il de l’histoire du capitalisme : au « vol primitif » dont héritent les plus fortunés répondent les rapines des déshérités. Forts et faibles s’entredévorent comme si, dans le mythe, Prométhée était aussi l’Aigle et vice versa.


Sauf que la leçon n’est pas finie - penses-tu, ce serait trop fair play ! -, l’autophagie du système ne s’arrêtant pas aux plus beaux morceaux du bifteck : aussi aveugle et insatiable qu’une tornade, elle vise également les plus maigres. C’est le dernier segment, où Krystal, la mère-ogresse, demande à ses louveteaux d’aller vendre leur rien à d’autres heureux propriétaires de rien. Alors quoi, rien + rien = tout, comme en math moins + moins = plus ? Pfff. C’te blague ! Il n’y a qu’un spéculateur pour croire ça. Non. Dans le film, Andrea Arnold opte pour une autre fable : la redistribution des richesses. Ou comment, d’une scène de frigo à l’autre, ce sont cette fois mémoire et empathie qui circulent. Et Star - no place like home hein - de remplir l’un à défaut de l’autre. C’est bien sûr la licence poétique qui parle ici, mais aussi et surtout la finalité d’un véritable récit d’apprentissage, au bout duquel reste le choix de s’amputer ou non de son humanité, moins glissante que l’argent. Des poubelles aux eaux de la renaissance, Star sera ainsi passée de l’adolescence à l’âge adulte. Le film la guidant de l’une à l’autre comme Les Raisins de la colère faisaient émerger la conscience politique de Tom Joad : sur la route, chaque étape comme une leçon d’économie de la vie.


The Pleasure of Being Fucked


Et la tortue libérée dans le lac, alors ? Adeptes du développement personnel et autres mordus de mythologies répondront qu’il s’agit là de couronner la fin du parcours de l’héroïne. La tortue, animal totem représentant la Terre Mère, la paix, la sagesse, l’harmonie, tout ça, succédant au bulldog anglais de Red Road, au cheval de Fish Tank et à une pelleté d’autres animaux, tous plus ou moins synonymes d’innocence à préserver chez Andrea Arnold. Quant à l’indigo, la couleur, et l’« indigo child », le concept auquel se réfère la chanson de Raury, le lecteur ne sera pas surpris d’apprendre, en interrogeant tonton Google, qu’ils renvoient à des notions New Age. Soit l’indigo la couleur signifiant, grosso merdo, prise de conscience spirituelle, éveil à soi-même et réalisation de son être intérieur (qu’on pense à son omniprésence dans Avatar…). Et l’indigo child la marotte entres autres d’un couple d’illuminés (Lee Caroll et Jan Tober) à la tête d’une secte, le kryonisme, faisant des caractéristiques de certains enfants perturbés des sortes d’êtres supérieurs dont l’aura, de couleur indigo, les désignerait comme les sauveurs du monde…


Alors évidemment, ridicule serait l’idée de voir en American Honey un tract en faveur de cette secte. Mais l’information a le mérite de souligner l’ambiguïté de ce qui est dépeint : l’entreprise, ses membres, et en bout de courses le portrait d’une génération à laquelle on aura trop vendu les contradictoires slogans « the world is yours » et « no future ». Car une grande part de l’intérêt du film se trouve finalement là : dans cet équilibre tenu jusqu’au bout entre rigueur classique du storytelling (chaque scène, presque chaque plan, comme une brique de plus dans le récit) et apparent non-interventionnisme de la cinéaste. Elle qui paraît ne pas chercher à produire de jugement ou si peu, mais simplement se tenir là, en témoin. De là cette sensation que, de la même façon que sur le plan formel, le film est double, avec d’un côté toutes les apparences du documentaire (volet « on-camera ») et de l’autre une forte tendance au symbolisme (volet « in-camera »), il fonctionnerait tout aussi doublement sur le plan de l’écriture.


Deux niveaux d’écriture, donc, avec d’abord celui que l’on dira « horizontal » ou narratif, déroulant le récit et fonctionnant comme ses personnages : n’intellectualisant pas, ne revendiquant rien, dans la plus parfaite inconscience de sa portée politique. Et puis le niveau « vertical » ou discursif : celui qui, se superposant au premier façon notes de bas de page, structurerait le « discours » sous-jacent de la cinéaste - mais encore une fois sans quasi jamais donner l’impression d’y toucher ! Aussi le fait que le film parvienne malgré tout à en dire si long sur une époque, un pays et leurs mythologies est-il d’autant plus admirable. Ou tout l’art, sans doute, de la polysémie au cinéma, à l’image de ce « j’ai l’impression de baiser l’Amérique » dont on ne sait trop, dans le contexte où il est prononcé (moment de communion avec l’espace américain dans une scène à la Bonnie & Clyde), si c’est une déclaration de guerre ou d’amour.


Enfin, peut-être que c’est ça, au fond, l’Amérique : une grande love story tarifée entre celui qui baisent et celui qui se fait baiser…

Toshiro
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le 30 juin 2018

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