Tout autour de ce film fleure bon la polémique facile et les accusations rapides de ‘propagande’ – et les habitués de l’anti-américanisme primaire devaient boire du petit lait (ou s’étrangler, c’est au choix), en découvrant le sujet et l’affiche du nouveau Clint Eastwood. N’étant pas de ces derniers, et ayant beaucoup d’affection pour certains Eastwood, j’étais plutôt curieux, bien que ses récentes productions et les avis de mes estimés éclaireurs aient un peu douché mon enthousiasme.
Clint Eastwood s’attaque ici à un sujet particulièrement délicat : la guerre d’Irak de George W. Bush, et, plus particulièrement, la guérilla durant l’occupation américaine. Deuxième écueil, le réalisateur a fait le choix de centrer son récit sur le personnage de Chris Kyle, un Navy SEAL qui a officié en Irak comme tireur d’élite (d’où le titre). Son rôle était principalement de couvrir les fantassins qui ratissaient les habitations à la recherche des terroristes d’Al-Qaida (ou d’informations sur ces terroristes), depuis son poste surélevé. Rôle qu’il a rempli avec une efficacité diabolique – il est crédité d’au moins 160 tués confirmés. Pour ne rien gâcher, Kyle était un cow-boy – littéralement –, texan – on reste dans les stéréotypes –, religieux pratiquant, chasseur depuis ses huit ans, et élevé à être le ‘chien de berger’, qui protège le faible face à la tyrannie du fort (un adage que n’aurait pas renié Jules Winnfield). Bref, un bon gros redneck bas du front.
Kyle décide de s’engager dans l’armée après les attentats du 11 septembre 2001. Son objectif ? Défendre son pays, croit-il, en partant bientôt combattre en Irak, après avoir reçu une formation d’élite. Le film va alors alterner scènes de guerre en Irak et retours au pays pour Kyle, avec une certaine répétition qui confine bien vite à la monotonie.
Compte tenu du sujet et de l’angle d’attaque d’Eastwood, l’on serait en droit de soupçonner un certain manichéisme dans le traitement du conflit. Ce n’est pas l’impression que j’en ai. Le regard que porte le réalisateur sur la guerre, est, à mon sens, assez distant et neutre. À la rigueur, on y retrouve la triade dépeinte par le père de Kyle : les ‘loups’, qui sont les terroristes, et en particulier leur chef, un ‘Butcher’ qui porte bien son nom. Les ‘moutons’ sont plutôt les Irakiens, les principales victimes de cette guérilla urbaine, pris entre l’armée américaine, soupçonneuse et loin d’être amicale, et les terroristes qui les torturent et les tuent. Enfin, le rôle de ‘chien de berger’ revient naturellement à Kyle, même si la principale préoccupation de ce dernier est la protection de ses frères d’armes.
J’en viens donc à Kyle, qui est, tout de même, au cœur de ce film. Plusieurs thématiques sont abordées concernant le traitement du personnage :
- Son éducation : la chasse, la religion, les sermons du paternel
- Son amour de l’Amérique : Kyle est un profond patriote
- Sa psychologie : sa vision de la guerre, son mariage et sa nécessité d’aider, de protéger
Du coup, c’est là qu’apparaissent les premiers problèmes du film.
À trop vouloir multiplier les thèmes, Eastwood ne fait que les effleurer, et leur traitement demeure extrêmement superficiel. Si Kyle est avant tout un patriote, son discours se teinte parfois d’une pointe de nationalisme (la haine de l’autre, par opposition au patriotisme, l’amour de son pays). Les passages de son retour au pays nous montrent un personnage durablement marqué par le conflit, qui ne semble pas capable de faire la part des choses, hanté par ce qu’il y a vécu. Cela dit, le film passe très vite sur ses états d’âme, et, c’est en s’appliquant à assister des vétérans qui soufflent de stress ou de traumatismes consécutifs à leur engagement en Irak, qu’il retrouve une vie normale. Je pense que le film aurait gagné à approfondir davantage ses thèmes, plutôt que de se contenter d’une simple énumération.
En outre, l’alternance de scènes en Irak et de scènes en Amérique devient rapidement lassante. Si les scènes de guerre en Irak sont plutôt bien filmées, nerveuses et tendues (ce dernier point étant sujet à débat, elles sont assez inégales…), elles sont également très répétitives. Après, c’est sans doute mon côté vieux con qui parle, mais les scènes d’action pures ont souvent tendance à m’ennuyer lorsqu’il n’y a rien de particulièrement original, ou rien de spécialement drôle. Quant au duel de sniper que l’on nous fait miroiter pendant la moitié du film, il est bien vite expédié, et là, une scène comme le final d’un « Full Metal Jacket » a un intérêt et une puissance infiniment supérieurs.
Certains verront le générique comme l’estocade finale, parachevant une œuvre hagiographique de la vie du ‘héros’ Chris Kyle. Je pense qu’on peut prendre les choses de la manière totalement opposée, c’est-à-dire, plutôt, une critique non dissimulée de cette certaine facette de l’Amérique qui façonne et formate ses soldats, les enfermant dans une moule duquel il n’est pas possible de sortir – il n’y a alors plus qu’une et dramatique échappatoire. Je pense que ces deux hypothèses se valent, mais je préfère y voir une certaine distanciation d’Eastwood, sans prendre parti.
Voilà maintenant 4-5 films d’Eastwood basés sur des histoires vraies, ou sur des personnages ayant réellement vécu. Comme tous les biopics, ceux-ci sont très inégaux, et « American Sniper » n’échappe pas à la décadence amorcée avec le fade « Invictus » et le médiocre « J.Edgar ». L’on retiendra ici un certain nombre de thématiques à peine effleurées, qui auraient pu se révéler intéressantes, mais que le réalisateur sacrifie à des scènes d’action répétitives et lassantes.
Tout ça pour ça…