Avec une myriade de nominations et des récompenses, American Sniper est la machine américaine patriotique par essence. Un tank nauséabond que Clint Easwood dirige avec la finesse d’un .50 de McMillan.


Les États-Unis aiment se représenter leurs exploits. Les guerres en Irak et en Afghanistan n’ont pourtant pas trouvé leur illustre représentant. Leur Apocalypse Now, leur Voyage au bout de l’enfer. Démineurs ? Trop (anti)personnel. Du Sang et des Larmes ? Trop désincarné et adolescent. Zero Dark Thirty ? Trop bureaucratique. Le dernier film à traiter en profondeur du sujet est Les Rois du Désert. Sorti en 2000, donc bien trop vieux et surtout cynique pour faire office de porte-étendard de la parole évangélique états-unienne. La tentation est grande pour les producteurs de sauter sur l’occasion. Une aubaine d’autant plus alléchante que la saison des ultimes récompenses, celle des Oscars, se profile à l’horizon.


Alors, on cherche le héros national comme on recrute le « top player » d’une équipe NBA ou NFL. Si possible, en se basant sur ses stats. Nous sommes en 2012, Chris Kyle sort un livre autobiographique. American Sniper, titré en français « l’autobiographie du sniper le plus redoutable de l’histoire militaire américaine« . Monsieur s’attribue 255 vies ôtées lors de sa carrière, le pentagone en décompte officiellement 160. Peu importe. Le meilleur tireur d’élite de l’histoire militaire américaine n’exclut pas que sa vie soit adaptée au cinéma, tant que le réalisateur se nomme Clint Eastwood. Vœu exaucé, la boucle est bouclée. Bradley Cooper, producteur dès le début du projet, s’alloue le rôle principal, accompagné d’une imposante métamorphose physique. C’est parti pour un peu plus de 130 minutes de bannière étoilée, de calibres fumants et de partialité fumeuse.


Puisqu’on nous l’impose, puisqu’à l’évidence, dès la bande annonce et confirmée par les premières minutes du film, le monstre idéologique pointe le bout de son museau, jouons le jeu du premier degré jusqu’au bout. Comme ça, juste pour voir comment regarder le monde comme une permanente cible à abattre.



REDNECK REDEMPTION



Chris Kyle (Bradley Cooper) n’est pas un bouseux de l’Amérique profonde. Il le rectifie de lui-même. C’est un Texan fier de son pays. Une différence ténue pour les non-initiés, mais qu’il va falloir accepter. Voilà le socle sur lequel l’idole des régiments s’appuie pour légitimer l’intégralité de ses actes. Ce, jusqu’à la fin. Lui, le gamin élevé dans les fondements tous relatifs de la rigueur religieuse apprend que le mal est l’œuvre des tyrans jusqu’à ce qu’il soit justifié par la défense des opprimés. Enfin, seulement ceux de sa famille, de son clan, de sa meute. Il rêve d’être cowboy. Il lui suffira d’un bulletin de news de la Fox pour défouler sa frustration chez la désignée lie du Diable plutôt qu’aux pies des vaches. Le voilà, à 30 ans, à l’entraînement des bleus. Il y apprend que la boue forme le caractère, que la camaraderie feint à merveille l’intégration et que l’autorité vient des expiations tendancieuses de gradés agressifs. Bref, Chris Kyle apprend à être un soldat de la liberté. Un pourfendeur de la démocratie. Une plume brillante parmi l’envergure imposante que l’aigle de la justice fait planer au dessus des terres des infidèles.


Le voilà plus musclé, plus fort, plus respectueux. Et comme cela va ensemble, le voilà avec un plus belle femme, aussi. Une Mrs. Kyle resplendissante, forte, belle et ferme à la fois. Sienna Miller en profite pour revenir sur les devants de la scène après une longue traversée du désert. Comme un comble pour ce rôle de femme de marin 2.0, supportant son mari comme même le meilleur gilet pare-balles ne le ferait qu’à moitié. Oh, bien sûr, tout n’est pas facile. De manière inexplicable, son mari « ne tourne plus rond », n’est plus lui-même, n’est plus humain, parfois. Comme si cela ne suffisait pas, notre héros de poudre trouve côté ennemi un rival de dimension presque sportive. Mustafa, ancien médaillé olympique, s’amuse à jouer au plus malin et au plus habile. Tout cela n’est qu’une compétition. Après tout, à la guerre comme au gymnase, on joue pour les médailles. Alors, malgré ses enfants, qui ne suffisent pas à ramener son mari à la vie, de quels maux peut bien souffrir Chris pour être tourmenté de la sorte ?



TIRONS HEUREUX, TIRONS CACHÉS



C’est que des toîts sur lesquels il se niche pour caler du plomb dans le cœur (jamais dans la tête, au grand dam de l’expression) des infidèles qui nuisent à la liberté, Chris n’a pas le sentiment du devoir accompli. Alors, quand l’action l’appelle, il lui répond avec ferveur. Il passe du plus loin au plus près. « La légende », comme le surnomment ses camarades de classe, défonce les portes, hurle « clear » à chaque couloir, est le premier à aboyer sur les civils pour qu’ils se mettent à terre. Le coup de crosse étant le meilleur allié de l’information, le voilà à la traque d’un boucher découpant ses victimes à la perceuse, à la solde des ayatollahs du terrorisme. Qui exactement ? Peu importe. Ils entravent la liberté, nous dit-on.


Intervient là la force de Clint Eastwood. Habitué, depuis qu’il est passé derrière la caméra, à s’amouracher de figures indépendantes de la justice personnelle et expéditive, Chris Kyle est un cobaye en or. Un homme dont le surnom suffit à outrepasser toute hiérarchie, à légitimer toute action. Aussi, à effacer toute problématisation de ses actes. Pourquoi agir ? Pour défendre les siens. Pourquoi riposter ? Pour anticiper le sauvetage des camarades. Logique de meute, toujours. Tant pis si, dans le lot, ses opérations coup de poing viennent fracturer son propre nez, ou ceux de ses potes. Pour vaincre, il suffit d’y croire. En Dieu, et en l’Amérique. Ceux qui tombent sous les balles, ce sont ceux qui ont hésité. Qui se sont interrogés. Ils finissent aussi vains que les salves à blanc de leurs funérailles.


Voilà. On a rarement vu un film de guerre états-unien aussi nauséabond. Poser la question de la propagande portée par American Sniper est aussi aveugle et faussement intellectuel que de chercher une analyse sociétale dans les paroles de la discographie de Jul. Il faudra vraiment être idiot, ou fan pré-puber de Call Of Duty pour gober sans broncher les messages même pas dissimulés d’Eastwood. C’est peut être cela, le plus désolant. Sous la surface, rien. American Sniper est de la poussière pour le gré de la poussière. D’autres films sur les récentes guerres états-uniennes ont au moins le mérite de pouvoir être étudiés pour le regard que l’Amérique se porte sur elle-même, aussi biaisé soit-il. Ici, seul l’écœurement prévaut. Un arrière-goût détestable qui n’est pas prêt de s’estomper.


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le 17 nov. 2015

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