Philipe Faucon avait séduit l’académie des Césars avec Fatima, film court (1h13) centré sur le quotidien pas toujours rose d’une immigrée en France. Acteurs principaux non professionnels, caméra à hauteur d’homme, ton documentaire, écriture franchement maligne basée sur le langage et la transmission parent/enfants, ça avait fait mouche. Sur papier, on a l’impression qu’il revient peu ou prou à la même proposition aujourd’hui avec Amin. Sur papier….


Amin est, à ce jour, une des pires choses que j’ai vu en salle.


Et c’est d’autant plus gênant que son thème central, le déracinement de son héros parti se faire exploiter au black depuis 10 ans pour envoyer un peu d’argent à sa famille au Sénégal qu’il ne voit que quelques semaines par an, mérite d’être filmé. Son personnage ne donnant l’impression que d’avoir troqué une situation peu enviable pour une vraie misère dans nos vertes contrées (plutôt grises et bétonnées en fait).


Mais l’exécution… J’étais sorti de la séance en me disant que ça y est, La France tient son The Room, le nanar américain culte où tout, de la réalisation au dernier des figurants, est raté et involontairement risible.


Le monde d’Amin semble partagé entre un Paris tout gris et le Sénégal en plein soleil. Alors autant les séquences africaines sont les moins pires, probablement car, ne comprenant pas la langue, j’ai eu l’impression que les acteurs jouaient bien et ne sortaient pas trop d’énormités bien qu’ils nous gratifient de sous-intrigues sorties de nulle part (c’est quoi cette histoire de boucherie halal sur laquelle trois personnages insistent énormément le temps d’une scène puis n’est plus jamais évoquée ?), mais quelle que soit leur justesse, on l’oublie vite à côté des parties en France qui semblent faire du hors-piste sur les chicots. Les séquences africaines d’Amin c’est comme filer des brassards de natation à un gamin avant de lui apprendre à nager dans le grand bassin des orques à Marineland un jour d’apocalypse nucléaire. Pas possible non plus d’essayer d’ignorer le couple le moins crédible de l’histoire du cinéma : Moustapha Mbengue – Emmanuelle Devos en plein concours de celui qui jouera le moins. Pas le moins bien, juste le moins. On assiste dépité à Faucon échouant à installer une quelconque tension entre ces malheureux , à peu près aussi magnétiques que deux mottes de beurre tièdes, qui finissent invariablement par se tenir côte à côte comme des collègues qui s’efforceraient de pas s’endormir dans une réunion de boulot interminable avant laquelle ils ont partagé une ligne de calmant pour chevaux. Faucon finira par céder et zappera toute la phase de séduction, d’autant plus que le film est commencé depuis 45 minutes et que faut à un moment ou à un autre entamer le scénario vendu au producteur. On retrouvera notre couple au lit après une ellipse si violente qu’on s’est quand même demandé s’il n’en allait pas d’une relation tarifée tellement rien dans le comportement des personnages ne faisaient songer à cette issue. L’échange le plus intense entre les deux devait jusque-là être quelque chose comme « Amin, voulez-vous un verre d’eau ? » et « Oui ».


Pendant ce temps, au Sénégal, la femme d’Amin, Aicha, se réveille en sachant que son mari la trompe. A part la télépathie, je n’ai pas d’explication. Parce que oui, dans Amin, les personnages fonctions sont aussi un peu X-Men sur les bords. Et là il ne se passe... Strictement rien. Mbengue/Devos vont acheter des t-shirts, il arrive une tôle à un personnage vu dans l’intro, celui qui nous improvise un solo de flûte quand il apparaît et sur la tête duquel il y a écrit « ma vie est injuste, je vais crever et ça va être triste » puis Amin décide de prendre l’avion, encore que c’est pas clair vu que c’est monté avec des stock-shots de Roissy sur du pipeau.


On ne va pas non s’étendre sur la fille de Devos dans le film qui n'a pas du tout à fait se remettre de Happy End de Haneke dans lequel elle apparaît et qui m’a fait flipper avec sa manière de jouer comme Anthony Hopkins dans le silence des agneaux : plans de face sans cligner des yeux. On dirait que le réal a écrit le rôle pour une actrice de 20 ans avant d’en caster une qui en a sept tellement ses questions sur la vie sexuelle de sa mère sont brutes de décoffrage (j’en suis d’autant plus certain que Devos, 54 ans, est difficilement crédible en jeune mère de famille). Sinon il y a Samuel Churin en ex-mari raciste tête à baffes à qui on a dû faire croire que son rôle était en motion capture tellement il est dans le surjeu le plus complet.


Au final, on obtient une très longue heure trente et une de dialogues aberrants donnant l’impression d’avoir été écrit par un extraterrestre qui n’aurait qu’une idée très vague de comment les humains fonctionnent après avoir vu une photo, une fois, d’un terrien. J’ai lu des interviews indiquant que Faucon visait un récit choral alors qu’au contraire j’ai trouvé qu’Amin n’était peuplé que de figurants anonymes parfois gratifiés d’une ligne de mauvais dialogues autour de Mbengue/Devos en plein processus de sédimentation. Sans vraiment de liens entre ses scènes, perclus d’incohérences et de facilités alors que le scénario tient sur deux lignes, filmé avec austérité, joué par des acteurs imitant des parpaings, Amin aura beau s’attaquer à un sujet sensible, il est au final surtout une déclaration de guerre au Cinéma.


A part à un chercheur étudiant les trous noirs, je déconseille.

Cinématogrill
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le 28 sept. 2018

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