La force du cinéma est de nous faire voir des choses inconnues, de nous emmener vers des terres inexplorées, et parfois de nous laisser entrevoir l’intimité de personnages ordinaires et de nous permettre d’être spectateur de choses inaccessibles et secrètes.
Dans « Amour », drame gériatrique qui est sorti le 24 octobre dernier précédé d’une réputation élogieuse et labélisé Palme d’Or à Cannes, Haneke a franchi une ligne et réalisé ce qui est peut-être l’œuvre la plus impudique et repoussante de ces dernières années.
« Amour » est un film voyeur, réalisé par un voyeur et pour un public de voyeurs. Haneke nous montre ce qui ne doit pas nécessairement être vu, et le fait de manière cynique et impassible, comme s’il décidait de s’éloigner de l’histoire qu’il est en train de nous raconter.Son film n’a aucune audace (on ne peut même pas l’accuser de provocation gratuite ou de complaisance, dans la mesure où le réalisateur ne s’engage sur rien, ne communique aucun sentiment).
Le film s’intitule « Amour », mais il est difficile de s’attacher au couple formé par Anne et Georges, en partie à cause du jeu et de la diction d’Emmanuelle Riva et de Jean-Louis Trintignant (qui se parlent de manière très artificielle), mais surtout en raison de cette froideur constante qui pose une frontière entre le spectateur et les personnages. Le film n’est jamais touchant (les acteurs n’y peuvent rien; la mise en scène austère d’Heneke court-circuite toute émotion. On trouve, ça et là, des touches d’humour, et Emmanuelle Riva parvient à exprimer beaucoup de douleur dans de nombreuses séquences, hélas gâchées par les cadrages réfrigérants choisis par Haneke). Il y a une totale inadéquation entre le style clinique, distancié du metteur en scène et son sujet : ce qui fonctionnait dans « Caché » est ici purement révoltant et choquant. Le problème n’est pas dans le choix du thème, mais bien dans le traitement que le réalisateur fait de ce thème : il l’aborde sans réflexion, sans subjectivité. Au mieux, il se laisse aller à un symbolisme lourd (un pigeon échoué dans l’appartement, que Georges laisse s’envoler une première fois avant de recueillir et d’ « étouffer » sous une couverture).
« Amour » reste un exercice de surface, qui effleure du bout des doigts les sujets difficiles de la vieillesse et de la maladie d’Alzheimer. Le pire élément de ce film est bien l’absence de point de vue, de regard, de parti pris. A coup de plans d’ensemble et d’absence de mouvements de caméra, Haneke garde une distance hypocrite et ignoble qui pousse son film vers les extrémités d’un documentaire malsain et lui donne une illusion de profondeur. Chaque nouvelle étape de la déchéance d’Anne est plus terrible que la précédente (Haneke ne nous épargne rien : on pense avoir vu dans une scène l’apothéose de l'abomination lorsqu’il nous balance sans transition, dans le plan suivant, une image plus terrible encore).
Un film d’horreur moderne, sans les frissons et l’exaltation que peut procurer la maîtrise du genre.