Haneke ou la glaciation cinématographique

Mai 2012; Amour remportait la Palme d'Or à Cannes et le César pour les deux acteurs si je ne me trompe pas.
Février 2013, 5 Oscars à Los Angeles.
Bref, pas le genre de film à passer inaperçu. Et pourtant.

♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦ ♦

Primo, ce film ne m'a pas plu.
Deuxio ce film n'est pas bon indépendamment de mon avis personnel.
EXPLICATIONS.

Michael Haneke est le roi toutes catégories de la froideur cinématographique. Par Amour, il signe là son acte majeur en la matière. Plus de 2 heures d'une atmosphère extrêmement froide, glaciale même. Sans rentrer dans le sujet ici abordé dans le film, tout est oppressant. Tout. L'appartement, les décors, les personnages principaux, secondaires, la caméra. Absolument tout.
Un huis clos étouffant, malfaisant et...méprisant. Car oui Haneke est un réalisateur qui méprise tant le spectateur que l'acteur. Pourtant les deux le font allégrement vivre (au passage, il n'a pas daigné se pointer à la cérémonie à Cannes. Bref.) Donc une froideur cinématographique exemplaire dans le monde du grand écran. Car non content de tisser une toile constrictoresque, il use, abuse et finalement ne se sert que de ça pour ce film; à savoir la fameuse technique du plan séquence (PS). Dans certains cas, elle est très utile pour dépeindre une scène, des attitudes, un lieu ou encore développer une idée. Mais dans Amour, il ne s'agit QUE de plans de ce type. Je n'ai pas compté mais il doit y en avoir une bonne quinzaine. Alors, un huit clos auquel ne sont rajoutés que des PS c'est imbuvable et agaçant comme jamais.

Ce film n'est pas bon pour plusieurs choses.

La première tient au fait de l'intention de Haneke et des moyens mis en œuvre pour justement ne pas y parvenir. Car Haneke n'est pas un spirituel ni un tendre. A travers Amour c'est un mensonge qui sort de sa caméra. Une antithèse de ce qu'il est censé montrer. En effet, le réalisateur autrichien n'est pas connu pour être un joyeux luron, mais de là à nommer son film de la sorte tout en en dépourvoyant son contenu, je trouve ça gonflé mais surtout mensonger.

Emmanuelle Riva (Anne) se voit atteinte d'un AVC. Très vite elle dépérit et la déliquescence avec laquelle son corps se perd et sombre, est relatée avec tellement de froideur et d'insensibilité de la part de Haneke, que ce film ne peut en aucune manière être perçu avec humanité et compassion. Car c'est de cela que manque également le bonhomme; la compassion. Haneke est un réalisateur sombre. Il est passé maître pour moraliser la morale elle-même, donnant des leçons sur la vie, lesquelles sont presque exclusivement angoissantes. Car regarder ce film c'est se choper la boule au ventre toutes les 30 secondes. Découper sur 2 heures, ça vous met 240 crises d'anxiété en un voyage.
Amour n'est pas un film, c'est du sadisme. On ne peut pas traiter d'un double sujet amour/maladie de la sorte avec un tel rigorisme austère. Austère le film, austère Haneke et austère le huit clos dans l'appartement. C'est comme la sensation de se noyer et de voir à quelques mètres une bouée de sauvetage qu'on voit s'éloigner par le courant. Dès qu'on tente de se raccrocher à un élément, il nous glisse entre les mains et fatalement nous échappe. Et ainsi de suite jusqu'au prochain. Ça c'est du Haneke dans le texte. Une insensibilité poussée à son paroxysme couplée à une rigueur cinématographique qui occulte, et les personnages et leur psychologie.
La déchéance galopante de Anne est traitée de façon à vous glacer le sang. C'est frontal et sans détour. La fierté qui habite Georges (Jean-Louis Trintignant) est elle aussi stupéfiante. Lui le vieil homme totalement dévoué, figure altière et ne montrant qu'un visage flegmatique. Un personnage très hanekien dans le fond. Mais à quoi peut bien servir un tel film sinon à ressasser des choses qui ont été vues des dizaines de fois, éculées et rongées jusqu'à l'os depuis que le cinéma est cinéma ? A cela près qu'ici, nous n'avons pas un film à visage humain, même si la dévotion de Georges pour sa femme mourante pourrait nous faire penser le contraire.

La deuxième chose pour laquelle ce film n'est pas bon et qu'il ne justifie d'aucune manière possible l'obtention de la palme d'or et celle décernée à Emmanuelle Riva comme meilleure actrice, tient justement au fait que cette dernière est l'épine de Amour. Elle est censée être l'un des deux personnages principaux mais ruine à elle seule la trame, et de facto l'histoire. Mais pourquoi donc va-t-on me demander. Voilà l'explication. Tout bonnement parce que E. Riva joue très très mal. Enfin, elle ne joue pas. Elle lit un texte. Oui voilà elle lit un texte, comme un acteur de théâtre répétant feuille à la main son texte. Et d'où vient le souci ? ...et c'est là que tout se tient, car on en revient à ces fameux plans séquence que je citais plus haut. Ces putains de plans fixes qui étouffent le spectateur. Ce film en est truffé ! Et comme en cinéma le PS nécessite que les acteurs soient au top et ne fassent pas d'erreur de diction sinon c'est une pellicule foutue en l'air. La première moitié est éloquente (puisque pendant la deuxième E. Riva n'a quasiment pas de texte because elle devient aphasique). Personnellement ça m'a vachement marqué cette intonation forcée, ces bouts de phrase qui ne sont pas dans le ton de la réplique. Et comme il n'y a que des plans séquence...c'est constamment joué sur la mauvaise portée avec le mauvais instrument. La totale quoi.
Ainsi Emmanuelle Riva n'est JAMAIS dans le bon wagon, jamais à la bonne vitesse, jamais, jamais, jamais. Alors je vais entendre les voix discordantes dire que ce film est touchant, empreint d'amour et patati et patata. Ok les gens mais on n'a pas dû voir le même film alors. Je pense qu'il faut savoir - que ce soit avec le cinoche, la musique, l'art, etc - se départir de ce que l'on voit, entend, ou plus largement ce que l'on est amené à être confronté. Oui c'est un sujet qui fait réfléchir sur la vie, la mort, l'amour, la maladie, la dévotion, le temps qui passe, les souvenirs, etc etc, mais quand il s'agit d'avoir un œil critique et distancié, on ne peut pas tout mettre dans le même panier sinon on mélange les affects à l'esprit critique. Et ça c'est pas bon. Chacun de nous a probablement vécu une fois dans sa vie la perte d'une personne chère, et immanquablement cela nous renvoie à nos propres expériences, nos propres sentiments malheureux, nos tristesses et nos peines. Michael Haneke c'est un roc quand il s'agit de filmer ce genre de scène où la lente décrépitude coïncide avec un amour dévoué.

Amour est un silence qui devient assourdissant comme une nuée d'abeilles s'approchant de votre oreille. Michael Haneke a rendu une copie malhonnête et sadique de ce que l'amour/mort ne doit pas être.
Pas de cette manière en tout cas.
lehibououzbek
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le 19 janv. 2014

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