Un couple de personnes âgées continue sa vie dans un riche appartement parisien, jusqu'à ce que l'épouse ait une attaque, subisse une opération réputée peu risquée et se trouve tout à coup paralysée du côté droit. Son compagnon, à qui elle fait promettre de ne jamais la renvoyer dans un hôpital, s'occupe alors d'elle à domicile, à peine secondé par le concierge de l'immeuble et une infirmière qu'il emploie, rarement visité par leur fille ou par quiconque. A partir de cette histoire simple au sujet qu'il peut être délicat de traiter sans glisser dans le pathos, le ridicule ou le sordide, Michael Haneke construit un grand film, d'une maîtrise formelle impeccable, au réalisme toujours juste, parfois dur, souvent beau par ses personnages et l'évocation, jamais démonstrative, de leurs sentiments ineffables.


Les textes et la diction du couple que composent Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva semblent d'un autre monde, celui d'un passé qu'ils raniment par anecdotes, celui aussi de cet intérieur bourgeois dans lequel ils se meuvent et qu'on ne les voit presque jamais quitter tout au long du film - en début de film, un plan fixe sur la fosse d'un opéra au sein de laquelle ils figurent ; plus tard le retour, déjà au sein de l'appartement, de Jean-Louis Trintignant parti assister à un enterrement. Lui comme Emmanuelle Riva sont aussi bons qu'excellemment dirigés, et leur inscription dans ce monde à part qui se transforme et se referme petit à petit est d'une rare justesse. Souvent filmés près des corps, régulièrement accompagnés dans leurs déplacements par une caméra d'une extrême précision dans ses cadres, ses mouvements et ses discrets changements de focale, ils n'en conservent pas moins leur intimité, et une certaine profondeur liée à ce que Haneke les montre et les raconte sans pour autant chercher à les dévoiler ou les expliciter par un débordement de paroles ou d'émotions étiquetées. Les valeurs de plan et les types d'objectifs connaissent une alternance selon les scènes, ou parfois au gré d'un simple raccord, qui permet à la fois de saisir et d'expérimenter la proximité entre les personnages, et de conserver une distance nécessaire à mieux les raconter, les montrer et ne pas les juger. Leur vieillissement, accompagné d'une distorsion progressive de leur temporalité, fait l'objet d'un travail subtil sur leur apparence, et d'une narration dénuée de repères temporels, qui dilate le temps de manière presque imperceptible et progresse de scène en scène, sans redites mais non sans échos en termes de composition thématique et visuelle.


Dans Amour, tout se raconte par de subtils détails dont il est certain que le spectateur ne les aperçoive pas tous, mais qui marquent l'évolution des personnages au sein d'un décor en apparence immuable, lequel est aussi précisément composé, des grandes bibliothèques emplies de livres aux simples journaux reposant sur une table basse au détour de l'arrière-plan d'une scène, que parfaitement intégré dans une mise en scène très bien spatialisée, qui fait de ce décor un cadre permettant avant tout l'inscription des corps. A la fois sans concession dans son portrait de certaines scènes de la vie des personnages - une gifle de colère, un mot de douleur répété créant une dissonance qu'il peut être difficile à supporter dans la durée ou l'assistance pour la toilette, pour ne citer que ces quelques éléments - et d'une retenue finement maîtrisée dans son portrait des personnages et de leurs relations, en vertu de laquelle le film ne sombre jamais dans un quelconque pathos tout en offrant une émotion loin de la froideur que certains trouvent dans les œuvres du réalisateur, Amour est un film marquant, réussi et tout simplement beau.

Archeo
9
Écrit par

Créée

le 3 juin 2016

Critique lue 175 fois

1 j'aime

Archeo

Écrit par

Critique lue 175 fois

1

D'autres avis sur Amour

Amour
Teklow13
8

Critique de Amour par Teklow13

Il y a l'amour qui nait, celui qui perdure, celui qui disparait, et puis il y a celui qui s'éteint, ou en tout cas qui s'évapore physiquement. Si certains cinéastes, Borzage, Hathaway, ont choisi de...

le 22 mai 2012

88 j'aime

11

Amour
guyness
6

Gérons tôt au logis

En fait, ça m'a frappé à peu près au milieu du film. Amour est un remake de l'exorciste. Vous savez, cette angoisse qui va crescendo à chaque appel venant de la chambre. A chaque incursion dans...

le 26 févr. 2013

66 j'aime

24

Amour
Grard-Rocher
9

Critique de Amour par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Anne et Georges forment depuis bien des années un couple soudé et très respectueux l'un vis à vis de l'autre. Ils habitent un très bel appartement parisien dans un quartier bourgeois. Leur vie de...

52 j'aime

34