Récompensé par la Caméra d’Or à Cannes en 2010, Année Bissextile est un plongeon radical dans l’intimité d’une femme précocement au soir de sa vie. Michael Rowe la cantonne en huis-clos, dans un appartement un peu désuet et à la limite du cagibi. Le spectateur l’observe dans son espèce de décrépitude stoïque vers le morose, la régression, les habitudes plombantes et la misère sexuelle (coups d’un soir, sans affection ni explorations).

Étouffant mais doux, froid et réaliste (presque clinique), ce film mexicain se confond en indiscrétions lucides. C’est de l’anthropologie juste et cruelle, à propos d’une femme représentative des détresses mutiques, qu’on peut facilement étendre à ceux qui sont sortis de la pyramide sociale mais demeurent piégés dans la société, sans doute aussi parce qu’ils le veulent ou ont renoncé à exister intensément au-dehors.

Au hasard de ses rencontres minables, Laura découvre Arturo. Ils s’adonnent à des jeux d’adultes avec un esprit d’enfant trop longtemps contenus et s’abandonnant enfin, mais pour s’aliéner par la sensation et se délivrer via la perversion. Laura est dans la surenchère ; il faut provoquer la passion, amplifier et remplir la vie de ces scènes fantasmées, redoutées mais préméditées. Elle trouve sa place en étant un animal sensuel et dépendant, pas de cet homme, mais de la main d’un tendre bourreau. Ce n’est pas beau pour autant ; elle se chosifie plus qu’elle n’apprécie les sentiments en mue.

Leurs rendez-vous font partie de ces rencontres étranges, incomprises par leurs propres protagonistes, automates pleins d’espoirs et de passion, bravant et abandonnant la vie émergente et la marche sociale pour exulter vraiment.

Cet équilibre mesquin mais absolu enfin atteint, il faut se précipiter, complètement, vers le Néant, déjà en soi de toute façon. Ne reste qu’à le sublimer, par une orgie névrotique, un purgatoire ordonné et complet. Quand on s’effondre, quand on est déjà dans l’abîme, ne reste plus qu’à décorer l’espace où on se morfond. De toutes façons, l’esprit n’envisage plus rien, les seules échappées sont intérieures ou sont des expressions brutales dans un environnement confiné, modulé selon ses propres formes.

Élémentaire, primal, troublant, fascinant, voici le spectacle d’une décompression inexorable vers le vide et des sursauts mécaniques. Laura est la designer de ses propres paysages sexuées. On en sort repus, K.O et tranquille sur son compte, perplexe face à une représentation aussi simple mais vraie, horrible et éthérée.


http://zogarok.wordpress.com/2014/10/05/annee-bissextile/

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le 4 oct. 2014

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