Si je vous disais que le film se fit refuser son droit d'exploitation parce que la fin est "trop intelligente", vous me répondrez quelque chose sur le formatage de l'industrie cinématographique, vous saluerez peut-être Netflix d'avoir eu l'audace de l'accepter dans son catalogue et ainsi de suite. Cependant, je vous amènerai alors à réfléchir plutôt en terme d'ancien et de nouveau, un débat aussi vieux que l'art lui-même et dont la plus célèbre occurrence en France serait sûrement la fameuse Bataille d'Hernani, pièce de théâtre de ce bon vieux Victor qui à son époque ne pouvait être représentée sans déclencher les foudres des "Classiques" avec leur sainte règle dite des "unités", propre au genre de la tragédie (Unité d'action, de temps et de lieu). Je précise pour ceux qui ont eu l'audace ultime de faire autre chose qu'un bac littéraire.


Annihilation, c'est un peu pareil. Ce n'est pas que le film brise quelque chose à laquelle personne n'avait pensé avant mais c'est plutôt qu'il tente de faire quelque chose qui devient de plus en plus rare de nos jours, laisser le choix aux spectateurs. Mais avant d'y venir résumé.


Bon, j'ai vu le film en anglais (parce que je suis une nazie de la VO désolée) donc j'utiliserai le terme de "Shimmer" pour parler du "Miroitement" de la langue de Molière. Donc l'histoire est celle de Lena, une biologiste dont le mari a mystérieusement disparu lors d'une opération tenue secrète mais qui réapparaît complètement changé et somme toute assez étrange. Il s'écroule et alors qu'elle l'amène à l'hôpital, ils se font enlever pour rejoindre un complexe militaro-scientifique qui étudie une zone étrange dont la frontière est une espèce de bulle de savon géante appelée "Shimmer" et dont le mari de notre héroïne est le seul rescapé. Lena décide donc de partir avec une équipe entièrement féminine pour atteindre ce qui semble être le point de départ du Shimmer, un phare le long de la côte.


Le chemin sera donc à la fois long et périlleux, nos comparses découvrant que la nature semble s'être adonné à une joyeuse fête à base de modification génétique qui donneront lieu à des visions d'horreur assez inattendues. Je classerai donc le film comme "Horreur scientifique", genre nouveau et plein de promesse (pas du tout).


Franchement, j'en suis ressortie satisfaite compte tenu du fait qu'il fallait que le réalisateur, Alex Garland, me fasse ressentir à peu de chose près, ce que j'avais ressenti lors de son autre film Ex-Machina, je n'étais pas déçue. Je savais plus ou moins déjà que la fin du film allait être source de théories et d'interprétations diverses et variées mais peu importe parce que ce qui compte, c'est le voyage et quel voyage !


La photographie est sublime, les effets spéciaux sont au poil et chaque seconde amène son lot de beautés et d'horreurs, d'interrogations comme de réponses et je ne savais plus où donner de la tête. C'est recherché et unique, bref, tout ce que j'attends d'un film qui se veut authentique. L'idée du Shimmer et de ses effets, bien que tirés d'une nouvelle, sont vraiment originaux et vraiment bien représentés tandis que la tension palpable nous donne le sentiment que les personnages évoluent dans une terre vierge de toute action humaine où les possibles sont tout autant fascinant qu'effrayant, nous rappelant à la fois la peur primaire de la nouveauté et la curiosité maladive de notre espèce.


Que Paramount n'est pas voulu sortir le film en salle est en soi assez compréhensible car Annihilation est un film dont le format et le genre ne saurait correspondre aux canons habituels. Ce qui est à mon avis beaucoup plus louable, c'est que Garland n'ait pas cédé au charcutage de son film par envie financière. C'est son œuvre et dans toutes les formes d'art, je respecte beaucoup plus ceux qui font quelque chose de personnel, peu importe la qualité, et non pas quelque chose qui a été réfléchi presque psychologiquement pour correspondre à une certaine idée de la beauté. Si je parlais des anciens et des nouveaux dans mon introduction, c'est justement parce que l'on se trouve pour moi à un moment charnière de l'art cinématographique. Ce n'est pas que les films "classiques" sont mauvais, ce n'est pas que ceux qui tendent à briser les normes sont bons mais pour moi, le cinéma est à deux vitesses avec d'un côté les films calibrés pour les festivals et de l'autre ceux calibré pour la diffusion en salle. Dans tous les cas, il y a une calibration et très peu de réalisateur tente de s'en affranchir pour proposer leur propre vision des choses plutôt que celle qui satisfait.


Comme je le disais plus tôt, la tragédie est un genre de théâtre très calibré, réglé même mais au bout d'un moment, c'en devient lassant parce que dès que quelqu'un a trouvé la formule magique, il n'y a guère de place pour ceux qui ont décidé de ne pas l'utiliser. C'est exactement pareil ici.
Ce film n'a sa place nulle part et c'est tant mieux. Il ne nous donne aucune satisfaction d'un début et d'une fin et c'est tant mieux parce que chaque personne verra ce qu'il veut voir dans ce film plutôt qu'une histoire uniforme et univoque qui ne laisse guère court à l'imagination ou la suggestion. Personnellement, j'y ai vu une histoire sur la synthèse de toutes les identités que chacun porte en soi et la renaissance permanente de l'individu. Je suis assez certaine que plein de gens n'ont pas vu cela comme ça et c'est tant mieux parce que cela fera des heures de discussions endiablées qui feront vivre le film en dehors de son contenant purement visuel. Ce que très peu aujourd'hui font, car il ne s'agit guère que de faire un maximum d'entrée dans un court laps de temps et peu importe si le film a un existence après la rentrée d'argent enfin, sauf pour vendre des goodies. On a donc des anciens qui se basent sur des films à licences faciles et des nouveaux qui tentent de redonner au cinéma ses lettres de noblesse en explorant, comme nos personnages, sans forcément un autre but que celui de la découverte, l'essai, la prise de risque et sûrement les erreurs mais toujours avec un entrain certain dans la quête sans fin qu'est l'art en général.


Bref, voyez ce film illico presto, vous ne perdrez pas votre temps !

Thepunkowl
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le 7 juin 2018

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Engy Near

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