On peut voir Another Earth comme un grand jeu de miroirs : notre planète se découvre une soeur jumelle aussi inquiétante qu'envoûtante, tandis qu'une jeune femme doit réapprendre à soutenir son propre regard.
J'avoue que j'ai d'abord eu peur du syndrome mauvais Sundance. La scène de la ballade nocturne dans la neige, au début du film, laissait craindre une oeuvre envahie de tics visuels mettant au second plan les personnages et ce qui pouvait bien leur arriver. J'ai donc démarré ça sans gros espoir, genre "Il dure qu'1h30, j'ai des cookies à portée de main et pas hyper envie de lever mon cul du canap'... allez, on verra bien". Et puis l'histoire m'a happé doucement, tout en retenue, en évitant le niais ou les violons de 10 tonnes chacun.
La toile SF n'est pas omniprésente mais a pour avantage d'élargir l'horizon, le champ des possibles. En ce sens Another Earth me rappelle un peu Take Shelter, autre film placé dans une dimension flottante, entre le concret et le nébuleux. Dans les deux cas l'histoire ne pourrait pas fonctionner sans le trouble venu du ciel, mais le vrai enjeu est celui qui cloue les pieds des personnages au sol.
C'est donc bien de la SF light. Pas de Sandra Bullock en 3D qui envoie des quintuples salto sur orbite. Pas de sabres laser. Pas de Nostromo. Pas d'Igor et Grichka Bogdanoff. Cette "Earth 2" reste discrète mais ses apparitions dans le ciel, comme un reflet familier et étranger à la fois, sont assez poétiques. La scène avec la directrice du SETI est également un joli moment d'onirisme épuré, sans en dire plus. Pour ce qui est du manque de rigueur scientifique de l'ensemble (une planète aussi proche de la notre entraînerait des perturbations dans notre atmosphère, etc.), je dirais qu'ici on s'en contrefout un tantinet, sauf si vous avez un DEUG de Physique et que vous tenez absolument à le montrer.
Le film choisit de se passer de longs bavardages, avec raison. C'est un veuf et une femme rongée par le remord, pas Joe Pesci meets Eddie Murphy ! Il n'est pas sec non plus : une partie de Wii, quelques notes de musique, une anecdote sur le premier homme dans l'espace racontée une tasse de café à la main... il y a aussi des moments chaleureux. Brit Marling campe une Rhoda attachante en jouant sur les détails. Des regards, des sourires discrets quand elle sent que ses efforts ne sont pas forcément vains, un cours où elle est aperçue l'espace d'une seconde... on nous la montre tenter, douter, espérer, le tout par petites touches, sans mettre de gros panneaux clignotants sur ses pensées et ses émotions.
Le personnage du veuf reste en retrait, voilà une des limites. Sa partition d'homme abattu est logique, mais elle se réinvente peu en cours de route. Je pense aussi que le climat triste du Connecticut n'égaye pas une oeuvre déjà mélancolique dans son propos... bémol à mon sens même si c'est le budget qui a orienté ce choix (le réalisateur Mike Cahill a utilisé de nombreux décors gratuits de son environnement familier). Sans vouloir transposer le tout au coeur des strings à Miami Beach, il y avait peut-être un juste milieu.
Un film un peu trop cotonneux, d'une certaine manière ? Je dirais qu'il manque un léger supplément de tripes pour secouer ce registre d'émotions contenues, et permettre à l'histoire de décoller totalement. En revanche j'aime beaucoup la façon dont elle se conclue : sans un mot, dans une dernière scène à la fois forte et énigmatique.