Si l'on juge de la qualité d'un film au talent de son réalisateur (et parfois, je le fais, et parfois, je pense que c'est même le but du cinéma), alors Antichrist est un quasi chef-d'œuvre.
(ouf, c'est dit, ca fait du bien).
Pour la simple et bonne raison que Lars Von Trier est un réalisateur-scénariste ("auteur" comme disent les intellos) extrêmement talentueux.
Pourquoi talentueux? Alors, bonne question. Primo, parce que sa culture artistique ses connaissances techniques lui permettent d'utiliser le moyen d'expression qui est le sien (faire des films) avec énormément d'idées et de force - héritier de Bosch, de Bacon, mais aussi de nombreuses références littéraires et cinématographiques sous-jacentes au film, Lars Von Trier crée un film ingénieux, d'une picturalité et d'une beauté que l'on a jamais vu auparavant.
Deuxièmement, en tant que scénariste, son travail s'articule autour des symboles et des thèmes qu'il veut filmer, le deuil et la tristesse, la manipulation et la violence, le tout emmené dans un univers d'un réalisme magique sublimant et renforçant son propos à chaque plan. Le film est ainsi ponctué de symboles forts, récurrents, venant illustrer une thématique à la fois visuelle et narrative. Un peu comme si tout ce qu'il filmait se transformait en symboles, réapparaissant à des moments-clés du film avec ironie ou malice (dans le premier sens du terme).
Bref. Willem Dafoe est très bon. Il s'en prend plein la tronche, faut dire. Charlotte Gainsbourg, pour un rôle qui est peut-être l'un des rôles les plus exigeants jamais écrits, s'en sort bien mais j'ai par moments trouvé son jeu un peu lédj'. Tu seras le malin, tu mutileras et te mutileras, tu pleureras, beaucoup, tu diras des dialogues un peu cons, parfois, difficile de ne pas s'y perdre un peu quand on est un acteur.
Les dialogues sont en effet parfois un peu nuls, à une ou deux reprises on comprend ce qui a donné de mauvaises critiques au film, parce qu'on peut aussi se dire à raison "ouais, bon, hé ho, faut pas trop déconner hein".
Mais mis à part ces deux petites faiblesses, punaise, quelle beauté, quelle force, ce film. Un vrai poème lugubre, noir, fascinant, funeste et cru comme la chair.
Je suis fasciné par l'idée que Von Trier l'a réalisé alors qu'il faisait une dépression. Dans plusieurs plans, cela se sent lorsque par exemple il met en image des troubles de la vision qui évoquent ceux que l'on peut ressentir lorsque l'on fait une dépression ou des attaques de panique, et l'ingéniosité du procédé et son réalisme sont une première au cinéma qui fait vraiment un effet très fort.
À l'heure ou l'inventeur de la "nouvelle chair", David Cronenberg, devient un peu "mou du genou" (enfin, bon, il évolue, quoi, y'a plus James Woods ni son lecteur de VHS torsal, je regrette un peu disons), ce film de Lars Von Trier fait du bien par où il passe, pour les questions qu'il pose par rapport au deuil, au couple, au rapport à la chair, à la douleur, et même à la nature qui est représentée de manière extrêmement maléfique (puisque la première idée du film était de dire que la nature est l'œuvre de Satan).
Il y a bien sûr ce côté volontairement choquant qu'on peut lui reprocher, mais ce film est une expérience qui vaut d'être vécue et affrontée comme un trip acide dans les méandres de la folie et de la dépression.
