Comme ce film a pu se faire bâcher. Et on comprend pourquoi.
Un réalisateur prenant le contrepied idéologique majeur dans un milieu cinématographique engagé à gauche et féministe au possible ne pouvait que heurter par la violence absolue qui habite Antichrist, porté par une misogynie assumée et redoutable.
Mais comme être une femme ne dispense pas d'avoir un cerveau et de se détacher du "J'ai un vagin donc j'estime que ce film est une insulte", je vais expliciter pourquoi, à mon sens, le film est loin d'être aussi stupide et grotesque que ce que beaucoup de médias ont prétendu.


Servi par une introduction confinant au grandiose de par la qualité du montage et la sublime Sarabande de Haendel, le spectateur est confronté à l'exposition la plus efficace et cruelle possible. Pour un peu, le cinéma confine à la littérature dans mon esprit, me rappelant le Talisman des Territoires exposant une situation similaire : un couple fait l'amour, tandis que leur enfant, laissé sans surveillance, trouve la mort tragiquement. Dès lors, les personnages sont condamnés, réduits à leur souffrance, exprimée on ne peut plus différemment. Leur absence d'identité les réduit à leur statut de couple brisé et de parents déchus.
Très vite, une confrontation sévère déchire le duo amoureux et passionnel. Elle souffre à vouloir en mourir, lui se cache derrière une froideur pudique qu'elle ne comprend pas. Le doute s'installe, des deux côtés.


Von Trier possède une intelligence remarquable : celle de relier à un même sujet (la mort absurde d'un enfant aussi jeune) tout un faisceau de réalités crues, mais pas moins concrètes :



  • Le deuil est un mal sauvage, une morsure qui ne guérit jamais, une amputation qui reste avec tous ceux qui, un jour ou l'autre, perdent un proche.

  • Une libido compulsive, choquante pour certains, nécessaires pour ceux qui ne peuvent faire autrement que d'exorciser la peine dans une brutalité sexuelle libératrice.

  • La psychothérapie et ses méthodes diverses mais pas plus glorieuses les unes que les autres (une médicamentation excessive, et la volonté absolue et parfois stupide de poser des mots sur ce qui demeure indicible).

  • La douleur ne réunit que rarement deux êtres déchirés par la même perte. L'égoïsme et l'égocentrisme animal reprennent toujours le dessus.

  • Le survivant et sa culpabilité d'être encore là, lui, jouissant toujours de ses sens (dont Elle se prive afin de s'en punir), au gré des caprices d'un destin insondable.


En résumé, von Trier utilise judicieusement un cadre forestier étouffant, dont les arbres multiples renvoient immanquablement à l'allégorie des souvenirs qui jonchent la mémoire, et des bois regorgeant les monstres et les merveilles que l'esprit humain est capable de receler.
Mais le gros point sensible du film reste évidemment le jugement attribué à l'élément féminin, édicté par les deux protagonistes. Dès le départ, le vice féminin et ses velléités de vengeance gratuite se font ressentir, un avertissement que le spectateur ferait bien de garder en tête jusqu'à la fin.
Peu à peu, les rôles s'inversent. La mère mortifiée se change rapidement en furie dont l'hystérie sanglante révélerait l'absence de cette bienveillance maternelle que la société s'emploie à enfoncer dans nombre d'esprits. La maltraitance infantile qui lui est attribuée est aussi glaçante que pertinente. L'objet du débat est en effet houleux : un mal intrinsèque à la nature féminine est-il la justification aux brimades dont le genre est victime depuis la nuit des temps ? Il y avait bien là de quoi outrer les lecteurs assidus de Libération. Pourtant, nulle affirmation n'est jamais claquée face à la caméra. Seule une présomption de culpabilité demeure, bien que confortée par les actes fous de Charlotte Gainsbourg (mais le doute, là encore, existe). Les hommes, eux, ne sont pas lotis à une meilleure enseigne, considérés comme froids, dénués d'instinct paternel inhérent et désintéressés de leur progéniture comme de leur compagne, naïfs et butés.


En clair, cette ode à la violence n'épargne personne. Hommes ou femmes, c'est bien le genre humain tout entier qui se voit cloué au pilori devant l'objectif de von Trier.
Ainsi, malgré quelques longueurs peu dommageables et une symbolique parfois peu compréhensible (notamment l'incarnation de la triade), Antichrist apporte une bouffée de fraîcheur paradoxale en nageant à contre-courant de la doxa pro-féminisme suintante qui, à trop vouloir se répandre dans les médias et autres passerelles vers son public, tombe dans un piège d'absolutisme fort dommageable.


Le misogynisme ne se défend pas. Il se pense.

Seren_Jager

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