Ariane
7.1
Ariane

Film de Billy Wilder (1957)

"In Paris people eat better, [...] make love, well, perhaps not better, but certainly more often"

S'il est un cinéaste dans l'Ancien Hollywood qui ait su briller dans tous les genres, c'est bel et bien Billy Wilder. Touche-à-tout, cet immigré autrichien s'est surtout illustré dans la comédie, genre qu'il affectionne tout particulièrement. Sa rencontre avec le scénariste I.A.L. Diamond sera d'ailleurs déterminante, puisqu'Ariane marque le début d'une longue et fructueuse collaboration entre les deux hommes, Certains l'aiment chaud (1959) en tête.


Avec Ariane, Wilder réunit un trio mythique composé de Gary Cooper, au crépuscule de son éclatante carrière (l'acteur s'éteignit le 13 mai 1961, soit six mois après la disparition de Clark Gable, entraînant avec eux la fin d'une ère hollywoodienne dite "classique"), de la divine Audrey Hepburn (déjà dirigée par Wilder en 1954 dans Sabrina) et de Maurice Chevalier, le "French Lover" de tout une génération américaine.


Trois figures de légende pour une seule histoire, adaptée du roman de Claude Anet. Un script simple, mais diablement efficace : Maurice Chevalier incarne Claude Chavasse, un détective privé parisien spécialisé dans les affaires d'adultère. Traquant les épouses infidèles pour le compte de leurs maris, ses investigations l'amènent à enquêter sur le milliardaire Frank Flannagan, interprété par Gary Cooper, un playboy multipliant les conquêtes et déchaînant les passions. Seulement lorsqu'un jour un client cocufié par la faute du Don Juan projette de l'assassiner, la fille de Chavasse, Ariane (Audrey Hepburn), décide d'intervenir pour le sauver. Passionnée par le travail de son père, elle connait ses dossiers sur le bout des ongles malgré les précautions prises par ce dernier. Une somme d'informations qu'elle va tenter de mettre à son avantage car Frank ne lui est guère indifférent.


Dès les premiers instants, Wilder pose les bases de sa démarche : à travers un dialogue savoureux en voix-off de Maurice Chevalier et de son accent so french à faire blêmir Shakespeare (ce qui parait tout de même délicat), le cinéaste se joue des clichés du genre et propose une entrée en matière à la fois doucement ironique et délicieusement ingénieuse.


Car ce qui caractérise Wilder dans sa façon de faire est d'associer avec un équilibre déconcertant humour et intelligence, que l'on soit dans le loufoque ou la romance, ce qui n'est pas sans rappeler la manière de procéder d'Ernst Lubitsch. Ainsi, il n'est pas rare de passer du coq à l'âne en un instant, ce qui aurait pu en rebuter plus d'un si le coq en question ne portait pas les belles plumes soyeuses d'Audrey Hepburn. Solaire, elle apporte à l'écran une grâce et une harmonie qui donne une fraîcheur indéniable au film, sans pour autant se contenter d'être le joli minois auquel on l'a trop souvent réduite. Son jeu un rien emprunt de malice et de candeur donne une bouffée d'air à chaque séquence au point que son absence à l'écran devient quasi-suffocante. Sa voix et son regard véhiculent une innocence telle que sa performance dans ce long métrage justifie pleinement, plus de cinquante ans après, son statut de grande star hollywoodienne.


Et puis il y a l'âne. Mais quel âne ! Le plaisir de voir Gary Cooper tourné en bourrique par une jeune femme aussi révoltée et taquine contribue à décupler l'intérêt d'Ariane, tant l'audace dont fait preuve Wilder à jouer sur les sous-entendus à travers les rixes amoureuses est éclatante. La séquence du manteau d'hermine ornemente parfaitement ce tableau sensuel et troublant, avec ce mouvement de plan où l'on accompagne du regard le vêtement luxueux tombant aux pieds d'Ariane, de la même manière qu'on aurait pu voir sa robe tombée à terre une fois ôtée. Conjugué au fondu enchaîné concluant la scène, marquant ainsi une ellipse plus qu'équivoque, on ne peut qu'être admiratif devant tant d'adresse et de subtilité dans la mise en scène.


Cette grande part de fantaisie chez le cinéaste nous entraîne sans gêne dans le petit jeu auquel se sont livrés les deux duellistes, l'une en amazone domptée, l'autre en roublard roublardisé. Un sommet de modernité sophistiquée évitant avec sagesse l'apologie du mensonge pour mieux se concentrer sur la silhouette romantique teintée de cynisme de l'histoire d'amour entre les deux personnages. Il n'est pas question pour Wilder de jouer les moralisateurs ni d'inscrire son film dans une quelconque perspective dramatique tant l'aspect onirique est pleinement assumé.


Ariane est un émerveillement perpétuellement contigu évitant pourtant l'explicite. Malgré le thème principal du film, celui de l'idylle, et les allusions sexuelles, nombreuses, il faut rappeler que Wilder a mis en scène cette histoire dans un contexte de production hollywoodienne des années '50, encore marqué par le code de censure même si celui-ci connait déjà un déclin significatif avec la libération des moeurs. Ainsi, Wilder s'attira les foudres des instances en charge de donner l'illusion que le code Hays n'était pas encore devenu un vestige du passé. Il faut dire, il y a de quoi : il est tout de même question d'une jeune femme allant faire l'amour les après-midi, une jeune femme incarnée par une actrice de trente ans de moins que son partenaire !


Wilder a donc dû faire un certain nombre de concessions qui pourtant n'entâchent en rien Ariane. Bien au contraire. L'exemple le plus évident concerne la scène de fin à la gare, dans laquelle le cinéaste dut rajouter la voix-off de Chevalier, commentant et légitimant l'union d'Ariane et de Frank, participant ainsi à cette extraordinaire levée des masques donnant un charme certain à ce happy-ending bienvenu car non-antinomique avec le ton du long métrage. L'inverse aurait été plus gênant, au final.


Et puis il y a le formidable travail du directeur artistique Alexandre Trauner. Alors certes, son Paris est un Paris "carte postale". Mais difficile de ne pas se laisser subjuguer par la romance tant les décors se prêtent à l'immersion. Un cadre idyllique venant parfaire une oeuvre grandiose qu'on ne peut se permettre d'occulter, même si elle n'est pas majeure dans la filmographique de Billy Wilder. À vous faire entrer en pleine Fascination !

Créée

le 10 oct. 2014

Critique lue 475 fois

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Kelemvor

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