Au nom de la Terre, du Fils et du Saint Nectaire

Peut-être était-il temps qu’un film aux accents graves représente les conditions des agriculteurs au cinéma. Récemment, Normandie nue avec François Cluzet ou la comédie plus gênante Roxane avec Guillaume de Tonquédec s’étaient chargés du dossier d’une manière originale mais peu perspicace. L’un profitait de la venue d’un photographe mondialement reconnu pour redonner de l’allant à ces Normands démobilisés tandis que l’autre racontait de la prose à ses poules. Heureusement, l’excellent Petit Paysan (réalisé par Hubert Charuel) visait juste avec un agriculteur (Swann Arlaud) touchant et touché, prêt à tout pour son bétail affecté par une maladie. Au nom de la Terre est une preuve supplémentaire que le cinéma fonctionne aussi à la basse-cour, loin des préoccupations hollywoodiennes.


La scène d’introduction d’Au nom de la Terre s’ouvre sur un agriculteur claudiquant avec difficulté sur les monticules de terre d’un champ tout retourné, labouré. Guillaume Canet, malgré une perruque tirée par les cheveux et quelques moments d’égarements, campe le rôle du père du réalisateur Édouard Bergeon. Suite à son retour des Amériques, Pierre rachète les terres de son père en Mayenne. Dans les années 80, le soleil brille, l’humeur est joyeuse, la fougue est amoureuse et les épis de blé scintillent. Pourtant, à mesure que les années s’écoulent, le père doit nourrir sa famille et répondre à d’autres impératifs professionnels. Dès lors, un basculement a lieu dans la famille Jarjeau. Pierre, le père, qui avait pour habitude de taquiner gaiement sa progéniture commence à suffoquer à l’intérieur de ses terres. Alors que les hectares s’agrandissent, les clôtures semblent s’approcher, prêtes à l’étrangler. Ce sont la taylorisation des tâches, les prix bas, la concurrence internationale, les normes européennes ainsi que leurs politiques et les investissements accumulés qui étouffent les agriculteurs transformés en entrepreneurs. «Il ne suffit plus de travailler comme un acharné pour réussir aujourd’hui.» constate Pierre en discussion tendue avec son père (joué par Rufus). Entre les quatre parois de leurs bâtiments, les fiches administratives à remplir et un père dur, très dur, un bourru de travail qui empoisonne sa famille, Pierre commence à changer. La gueule enfoncée dans le fumier, le réalisateur dépeint la misérable vie de son père, sa déchéance et l’impact sur son environnement familial. Cette dureté du quotidien paysan est intelligemment alternée avec les plans paysages qui subliment la beauté des campagnes mayennaises dans laquelle ces hommes de la terre, ces paysans, respirent l’air ambiant à dos de cheval ou à bicyclette.


Avec force, courage, honnêteté voire cruauté et tendresse, Édouard Bergeon rend un hommage saisissant et émouvant du visage de son père filmé des près pour illustrer ce personnage qui est aux abois. Guillaume Canet est surprenant dans cet univers où les moissonneuses batteuses découpent autant des êtres humains que des épis de blé.

thomaspouteau
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le 24 sept. 2019

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