D’ordinaire, je ne suis pas un grand fan de Dupontel, et il me le rend bien dans ses films. En ce qui concerne « Au revoir là-haut », il a suffi de quelques plans dans la bande annonce pour me donner l’envie de le découvrir. Et autant le dire derechef, je l’ai beaucoup apprécié. Peut-être est-ce parce que l’on s’éloigne un peu de son univers foutraque habituel ? Sans doute parce qu’il évoque, à travers cette adaptation, une période foisonnante de l’histoire (la séquence après-guerre 1919/1929) qui me questionne également, mais plus intimement parce que j’ai été touché par cette histoire (je n’ai pas lu le roman) et plus précisément la manière dont elle a été mise en images.


Les films en lien avec la guerre 14/18 sont légion et se décomposent en deux groupes bien distincts, celui de l’impact sentimental du conflit (on s’attache principalement au drame humain d’un ou plusieurs individus), et celui de l’impact spirituel (un ou plusieurs individus sont placés dans ce contexte meurtrier pour en dénoncer les perversions).


Dans la premier groupe l’on retrouve des œuvres à l’affect prononcé au mélodrame (« Un dimanche de fiançailles ») à la guimauve dégoulinante (« Joyeux Noël ») ou le un peu trop guindé « La chambre des officiers ».


Dans le second groupe l’individu se veut symbole, représentant une classe sociale (Maréchal & Boieldieu dans « La grande illusion »), le refus de combattre (« Les sentiers de la gloire »), la « gueule cassée » (« Johnny s’en va en guerre »), la détresse du déserteur (« Thomas l’imposteur »). Plus récemment Tavernier dénonce l’incroyable comptabilité et le trafic des morts avec « La vie et rien d’autre » (scène incroyable d’un élu qui souhaite qu’on lui attribue un mort parce qu’il n’y en a pas sur sa commune), nous présente également ce militaire vertueux et loyal envers ses hommes (« Capitaine Conan »). « La peur », ou encore « Cessez le feu » évoquent avec réalisme et franchise, l’horreur des tranchées tout autant que celle de l’après.


On ne s’étonne donc pas que cette guerre qui a fait 6000 morts par jour, provoque nombre de réactions, de partis-pris. Elle véhicule à travers le cinéma, mais aussi la littérature un climat pesant (douleurs, horreurs perpétrées, destructions, humiliations et bien évidemment la mort…). Elle était la première guerre à une telle échelle de boucherie (hélas pas la dernière), vécue comme un traumatisme prompte à bouleverser l’ordre sociétal.


Et ce qui est formidable dans « Au revoir là-haut », c’est que tous ces aspects se retrouvent dans le récit soit sur un premier plan, ce qui nous donne quelques scènes étonnantes autour des tranchées, les blessures d’Edouard, la veulerie de certains gradés, le pouvoir et l’argent. Ou sur un plan secondaire d’autres scènes plus discrètes sont très implicites (le poilu abandonné/oublié par sa compagne, le rebond économique (publicité, consommation…), la volonté d’oublier (« Les années folles »), chômage… L’ensemble constituant un tout qui ne se veut pas formellement polémique mais ancré dans la réalité encore tabou de certains comportements et de faits d’alors.
Cette recomposition du champ sociétal d’après guerre, tout comme dans « La grande illusion », s’articule autour de deux hommes que tout d’ordinaire devrait séparer Edouard et Albert. Complices de survie, leurs objectifs sont antinomiques. Sans trop rentrer dans les détails, ce qui viendrait à dévoiler l’intrigue, disons que l’un est du côté de la vie (la reconstruction) l’autre du côté de la mort (la revanche). Tout cela est à l’image de la population, au sein même du pays, mais également en Europe. Autant l’un est fantasque et d’une noirceur à toute épreuve, autant l’autre est pragmatique toujours prêt à trouver une solution positive. Il n’y a pourtant entre eux aucune acrimonie puisqu’ils doivent composer ensemble, ils ne forment qu’un seul corps.


On sent toute l’admiration qu’Albert Dupontel doit avoir pour cette histoire. D’une part parce qu’elle chatouille un peu son petit côté anar au grand cœur et qu’elle représente pour lui un vrai défi artistique (devant et derrière la caméra). Car force est de reconnaître qu’il ne fait jamais dans la facilité au niveau de ses choix comme réalisateur. Et il s’applique ! Trop parfois avec des plans un peu tarabiscotés et superflus mais qui ne sont rien au niveau de la maitrise de sa mise en scène en général. Il est même sacrément inventif et distille parfois une reconnaissance à « ses » grands maîtres, tel Buster Keaton dont « son » Albert porte le même chapeau plat. Et du burlesque il en est question ! Plutôt que de nous asséner une grand messe académique bien proprette, il ponctue son film d’éléments comiques, visuels pour la plupart, parfois même en plein cœur de drame. Chaque plan est réfléchi à l’extrême.


La reconstitution des ces années 20 est fidèle dans chacun des aspects sans négliger pour autant un certain aspect factice (induit par la narration). Les décors et les costumes sont savamment imaginés laissant de temps en temps place à une certaine fantaisie tout aussi crédible. Et que dire des masques créés par Cécile Kretschmar ? Ils remplissent fabuleusement leur rôle d’expression de l’infortuné Edouard lui donnant une dimension aussi forte qu’ésotérique du Commandeur de Don Giovanni.


La bande originale de Christophe Julien, pleine de sensibilité n’est pas sans nous rappeler l’émotion des partitions d’un François De Roubaix, dans les moments sombres, ou d’un Antoine Duhamel sur certaines lignes mélodiques. Elle s’attache au scénario comme élément déclencheur d’émotions. Le piqué d’image permet d’alterner avec harmonie scène intimes, de rues ou de mystère créant une vraie symbiose d’optiques dont l’œil n’a de cesse de se délecter.
« Au revoir là-haut » est une œuvre plastiquement belle tant dans la reconstitution de cette période troublée que dans ses retranchements oniriques. Dupontel n’oublie jamais que c’est un récit dans le récit tenant de fait à se démarquer de trop de réalisme et il atteint cet objectif brillamment. Son acuité visuelle tournée entre insolite et esthétique fait des merveilles !


Et comme en plus il est bon acteur (« La Maladie de Sachs », « Les premiers, les derniers »), il porte doublement son film. Sa maitrise totale du rôle, toute en petites touches et réserve font d’Albert ce militaire lambda (comme il y en eut tant) au destin extraordinaire un homme de bien, une sorte d’ange gardien. Le genre d’homme sage que l’on n’écoute pas, ni ne voit mais qui portait alors les espoirs d’une nation pour la Paix. Son pendant nébuleux, l’ange déchu Edouard est incarné par le déjà très apprécié Nahuel Perez Biscayart (« 120 battements par minute). On ne voit quasiment jamais son visage, même avant la blessure (grimé de boue), c’est son corps qui joue, la gestuelle, ses déplacements presque aériens, sa présence. Il y a du Jean-Louis Barrault en lui, même grâce, même présence, même force émotive. Il est un Pierrot lunaire, frêle et intense comme une comète.


A ces deux acteurs inoubliables, Héloïse Balster, Mélanie Thierry et Emilie Dequenne apportent autant de moments de grâce, Niels Arestrup en Président intransigeant et père faillible se situe à la hauteur d’un Gabin entre « Le Président » et Les grandes familles ». Quant à Michel Vuillermoz, il est toujours aussi unique en son genre, dommage qu’on le voit si peu sur les écrans.


Albert Dupontel, sèmera peut-être le trouble auprès de son public par la forme et le sujet retenus pour le film. Cependant, il y a apporte tellement de son amour pour la littérature, le cinéma, tellement de ses convictions et positions, de son monde qu’on ne peut pas ne pas l’apprécier ou pour le moins reconnaître comme un très bon film. On sent le côté viscéral de réussir l’adaptation non pour ce que le roman est, mais ce qu’il raconte et l’a touché, quitte a le remodeler. « Un film c’est 5% de talent pour 95% de sueur » expliquait Truffaut, là on peut dire que Dupontel a mouillé sa chemise !

Fritz_Langueur
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