[Texte également lisible sur le webzine Benzinemag]


Tout commence au lendemain d’une sale guerre, de celle dont on ne peut définir l’horreur et où l’ennemi n’est pas toujours celui à qui l’on pense. Une sale guerre à l’accumulation macabre et aux crevasses suffocantes. Les visages s’y tordent de douleurs, se déchirent d’abjection et finissent par se diluer dans la boue. De la boue, partout, sur chaque centimètre. Un cimetière continue d’âmes humaines.


Au sortir de l’inimaginable, un ancien comptable (Albert Dupontel) et un artiste brisé (Nahuel Perez Biscayart). L’un ne comprend plus le monde qui l’entoure, mais porte un regard attendri sur l’excentricité de son compagnon blessé. Tous deux ne se comprennent pas toujours, mais s’emportent vers une entreprise douteuse : vendre de faux monuments aux morts. Même si Albert Dupontel évacuera rapidement le malaise du pamphlet qu’il dessine, la dialectique qui en découle n’en demeure pas moins efficace.


Empruntant le classicisme de la belle époque du cinéma français, Albert Dupontel s’efface derrière ses personnages et nous donne à voir une galerie attachante. Il parvient au détour du regard azur de l’excellent Nahuel Perez Biscayart à toucher la profondeur de l’âme. Le spectateur est alors emporté dans une épopée romanesque où se succède la multiplicité de nos émotions. Un récit doux-amer où la douleur avance masquée (on salut promptement et des deux mains le travail de Cécile Kretschmar). Notre déférence n’a plus qu’à s’ajuster à la prolixité des artistes à l’écran (et en dehors) qui nous plongent dans un foisonnement d’expressions : la tristesse, l’ironie, le délire, l’abstraction, l’excès et enfin l’envol.


Au revoir là-haut (inspiré du roman éponyme de Pierre Lemaitre) c’est au final regarder vers le bas, assister à la chute, la mort, la résurrection et finir par lever les yeux, vers la lumière, l’estime et le toit d’un monde. Un univers baroque qui dessert une critique politique et un regard élégiaque sur les années folles.


Albert Dupontel nous offre un grand film. De ceux qui nous inspire les sentiments les plus nobles, qui nous donne envie d’aimer encore et encore le cinéma français même lorsqu’il aborde le terrain plein d’écueils du grand public et qui au final nous donne l’occasion de prendre notre envol au milieu de la misère du monde. Un masque pour chacun, et de l’humanisme pour tous. Une belle leçon de cinéma.

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le 27 oct. 2017

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Westmat

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