Dans un an ça en fera cent, on pourra célébrer la fin des commémorations entamées en 2014, on tentera d’oublier qu’en 2039 on repartira pour un nouveau centenaire.
A force de piqûres de rappel, la grande guerre, on commence par croire qu’on la connaît et qu’on en a fait le tour. Pourtant on peut l’envisager sous des angles différents, étudier des situations moins connues, revoir certaines idées reçues, découvrir de nouvelles archives, bref on peut encore creuser.


“Au revoir là haut” n’est pas un film de guerre à proprement parler: il commence quand se termine le conflit et traite surtout de l’après.
Et encore, ce qui nous intéresse ici c’est le sort d’un personnage énigmatique et magnétique: Edouard.
Le film (et sans doute le livre avant lui) se base sur le sort tragi-comique d’un héros fauché par un obus pendant les dernières heures du conflit, vivant mais inadapté, et surtout incapable de parler. Un personnage principal qu’on voit peu mais qui habite littéralement le film autant par sa poésie que par sa souffrance.


La voix de Dupontel souligne au début de son récit l’ironie de la situation: mourir à la fin de la guerre c’est encore plus bête que de mourir au début. On pourrait ajouter qu’être quasiment mort est pire que la mort. Edouard est pétri de contradictions, c’est le héros du roman mais il traverse le film comme un fantôme.
Le bon Albert est à l’inverse le personnage terre à terre, celui qui se fait un devoir de sauver à tout prix et contre sa volonté celui qui l’a empêché de mourir, sans se soucier, sans se douter qu’il est en train de pratiquer une sorte d’acharnement thérapeutique.
Le ton du récit est aigre doux: beaucoup de touches d’humour, d’amour et de création viennent embaumer un récit qui démarre avec une guerre inhumaine et les sordides profiteurs qui l’ont entretenue et continuent de profiter du crime une fois la paix revenue..


Dupontel reprend des thèmes qui lui sont chers: inadaptés, rois de la débrouille capables du meilleur comme du pire, petits qui s’en sortent face aux grands méchants, gens ordinaires qui cumulent les erreurs mais les font avec cœur.


La poésie nait au milieu de rien, au fond d’une mansarde poussiéreuse, créée par un mort-vivant dépressif.
Edouard ne s’exprime que par ses créations: des masques magnifiques qui lui permettent de mettre en forme ses émotions, et ses yeux qui percent au travers pour nous rappeler qu’il est là juste derrière; et qu’il essaie de rester vivant, ou de se convaincre qu’il est encore là. Pourtant on sait qu’il est cassé, et pas que physiquement, il n’arrive plus à exprimer son dessin qui devient son arme.
La relation avec la petit Louise est salvatrice autant pour le personnage que pour le spectateur, elle lui permet de décrypter les grognements et apporte de la lumière dans un univers glauque.


De la première à la dernière scène, on n’oublie pas la guerre, elle s’exprime par la présence de puissants qui envoient les autres au charbon, qui se font de l’argent sur leur dos une fois le conflit terminé, par le retour de l’humain faillible qui n’hésite pas à vendre ou voler les doses de morphine pour s’en sortir, par la réalité qui reprend ses droits, par la pauvreté, le retour à une vie de débrouille après l’uniformisation de la vie en tranchées et la propagande sur l’unité nationale…
En permanence Dupontel souffle sur le film pour ajouter son savoir-faire, pour nous faire voir au delà: on a toujours quelque chose à apprécier: travail de reconstitution, musique, mise en scène, réalisation, costumes, masques, humour, rebondissements….
Rien n’est oublié, et tout concorde pour faire d’au revoir là haut un film aussi triste de gai, touchant et répugnant, dont on ressort un peu groggy, mais heureux.
Il a su nous faire aimer un personnage qu’on ne voit presque jamais, à montrer sa douleur et nous marquer sans avoir besoin de trop en montrer et quand on sort de la salle c’est comme s’il nous accompagnait encore.
A l’opposé on pourrait reprocher d’avoir un antagoniste un peu trop unilatéralement méchant, mais y avait-il encore assez de place pour développer le personnage de Pradelle? Le film a sans doute dû être raccourci sur ce plan, sans doute pour permettre au reste de se développer normalement.
Finalement le récit est intense et évoque les conte pour enfants, avec les exagérations que cela suppose, des personnages dont on ne connait pas toutes les facettes, mais une histoire facile à suivre et qui arrive à nous faire voyager. A charge pour nous de combler les manques, de construire des personnages plus complets.


Un joli film devant lequel on aime se laisser porter. C’est assez rare pour être apprécié.

iori
8
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le 7 nov. 2017

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iori

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