Putain c'était génial. Non seulement les gags étaient plutôt drôles sans être loufoques, non seulement c'était beau - je suis encore bouche bée de la chorégraphie des marins... Mais qu'est-ce que c'était intelligent !
Tout ne va pas bien à Hollywood : les acteurs sont tous en cure de désintox, il y a des coucheries partout, souvent homosexuelles (brrr...), et dans tout ce bordel, Eddie Mannix a bien du mal à sauver les apparences, à balayer la vraie vie sous le tapis, et à maintenir l'industrie filmique tel l'immense appareil de propagande d'une société américaine parfaite qu'elle est.
Car en prenant pour cadre le Hollywood des années 50, dans un film blindé de vedettes actuelles confrontant un cow-boy et des terroristes communistes et parlant à la fois d'argent, de morale religieuse et d'essais nucléaires dans un contexte de guerre froide, les Coen engagent une réflexion sur les fondements mêmes de l'Amérique, ses valeurs, et surtout, son endoctrinement.
Car il est bel et bien question d'endoctrinement. Dans un système qui est tellement verrouillé que le personnage de Brolin n'a le choix qu'entre participer à l'élaboration de l'arme atomique ou à la propagande capitaliste, où les gardiens de la morale sont tellement occupés à des questions superficielles telles que la représentation de Jésus ou s'il était bien le fils de Dieu que la seule réflexion sur le bien et le mal revient à se reprocher d'avoir fumé deux cigarettes en cachette, où finalement la religion n'est qu'un instrument du pouvoir puisque son but initial - libérer l'Homme - s'est perdu, noyé dans un appareil d'endoctrinement qui s'auto-entretient, où chaque chose enfin est à sa place (comme chaque acteur d'un film, réalisateur, monteur, comédien, doit tenir son rôle, la tirade de Brolin faisant sens), plus personne n'est réellement capable d'identifier le Mal.
La presse ? Tous les journaux se ressemblent (littéralement), et participent de concert à la propagande générale en relayant les bêtises montées de toutes pièces par les dirigeants des studios.
Les opposants politiques ? Esclaves de deux systèmes au lieu d'un, ils ne sont pas mieux lotis que les autres.
Dans ce contexte, le métrage réussit le tour de force de se présenter comme un film hollywoodien qui finit bien - blindé de vedettes donc, où deux personnages en train de tomber amoureux se mettent à chanter en plein dîner, où Channing Tatum dans un décor maritime complètement chiqué surjoue à mort, où donc un cow-boy chasse des communistes (alors qu'il est parfaitement crétin) et où évidemment les écrans intra-diégétiques sont régulièrement confondus avec l'écran bien réel de cinéma -, alors que cette fin heureuse consiste à continuer aveuglément de participer à la propagande générale. Quel cynisme !
Ce qui en fait finalement un film hilarant, puisqu'on est témoins de l'intense ironie des personnages, avec ce Clooney qui déclame un texte plein de sens sur la nécessité de voir plus loin que le système mais qui finalement n'y comprend rien et s'en moque, ce cow-boy qui jette un "communists..." entre ces dents lorsqu'il se rend compte que les vilains sont encore et toujours les mêmes, ce Brolin ne voyant plus ses œillères, tiraillé par son envie de prendre une cigarette, et qui est si heureux d'avoir choisi la solution "morale", celle où il va souffrir, pour le "bien commun".
Bref, un film très bien ficelé sur la nécessité de penser "en-dehors du cadre", de voir les limites du système et si besoin de les dépasser, de peut-être se refocaliser sur la religion première - celle de la grande Bible, pas de son interprétation par Hollywood, pour citer le fameux conseil du début du film - et, tout simplement, de ne pas perdre de vue les choses importantes, la réflexion et l'auto-critique.