Qu’est-ce que le cinema ? Question extrêmement pompeuse pour ouvrir ce papier mais qui se pose plus que jamais devant un film tel que celui-ci. Même si ce nouvel Avengers est globalement une fois encore plutôt bien accueilli, des débats cinéphiles font rage. Divertissement total voire plaisir coupable pour les uns, du non-cinéma pour les autres, il semble qu’il faille encore une fois choisir son camp.


Un tel débat pour opposer le cinéma de divertissement populaire et le "vrai" cinéma existe à peu près depuis l’existence du medium et peut même être étendu à d’autres disciplines artistiques (le roman de gare vs la grande littérature, le gros jeu video AAA contre le jeu indé etc…).


Mais quelque chose d’autre me semble se jouer ici. Il est extrêmement difficile de juger Avengers Infinity War selon des critères d’analyse cinématographique traditionnels. C’était déjà un peu le cas pour les deux précédents mais c’est ici criant puisqu’on est même plus devant un film Avengers mais devant un énorme crossover brassant les 17 films qui l’ont précédé. C’est évidemment sans précédent dans l’histoire du cinéma et en disant cela on commence à mettre le doigt sur ce qui semble déchainer les passions. Les héros s’élèvent au nombre de 25, si on ajoute la ribambelle de persos secondaires qui viennent faire coucou (de Pepper Potts au général Ross en passant par le meilleur pote de Peter Parker au lycée, ils sont presque tous là) on doit monter à plus de 60 personnages.


Scénaristiquement et narrativement parlant, selon des critères purement cinématographiques ça n’a aucun sens. Les détracteurs ont raison d'une certaine façon, ça n’est pas du cinéma. Aucun récit concentré sur 2h30 n’a besoin d’autant de personnages pour se déployer. La même chose pourrait être racontée en retirant 90% des personnages. En résulte un film au départ extrêmement simple (un plot construit autour d’une course aux Infinity stones – mcguffins on ne peut plus explicites) qui devient extrêmement complexe de par la quantité de personnages convoqués pour le faire exister. L’ampleur du truc devient pachydermique et chaque pion à déplacer pour faire avancer l’intrigue devient un casse-tête de scénariste pour préserver l’équilibre du tout, casse-tête auxquels les auteurs ne se dérobent d’ailleurs pourtant jamais.


Mais voilà ça fonctionne, et pour sentir cette énorme machine ronronner et exprimer son plein potentiel, il est indispensable de laisser au placard ses outils habituels d’analyse ciné. Si la plupart des personnages servent au moins à un truc à un moment donné dans le film, très peu sont de véritables moteurs du récit (seul Thanos l’est peut-être d’ailleurs). Cette logique scénaristique essentielle ne s’applique plus ici. Les personnages sont là pour eux-même, pour le plaisir de les voir interagir entre eux avec des possibilités de combinaisons toujours plus nombreuses à chaque film du fait de l’arrivée de nouvelles têtes et personnalités. On peut trouver ça vain mais comme un véritable effort de caractérisation est fait depuis le début autour de tous ces personnages, on atteint une sorte de quintessence pour toute une forme de cinéma dite de "personnages". Le pur plaisir cinématographique qui en résulte n’est pas si différent de celui qu’on a pu avoir devant des grandes rencontres de cinéma dans d’autres films plus "respectables". Quand des personnages d'un film choral de Altman ou PT Anderson se croisent à un moment donné, quand de Niro va prendre un café avec Al Pacino dans Heat etc…


Si un tel objet cinématographique existe aujourd’hui c’est aussi grâce à tout ce qui a été construit auparavant. On peut aborder avec cynisme la faculté de Marvel à "pondre" tous les ans ses trois films mais force est de constater qu’il y a un dessein derrière qui dépasse la simple exploitation économique de la licence. Infinity War est un film qui menace constamment de s’effondrer sous son propre poids sans que ça ne soit jamais le cas et ce précisément grâce à cela. Les arcs de personnages, malgré certaines ruptures et revirements pour redresser le tir quand ça ne fonctionnait pas (Hulk, Thor), ont été construits avec patience et cohérence pour parvenir jusqu’à ce point. Et le sentiment d’accomplissement est extrêmement gratifiant pour le spectateur assidu qui a suivi la chose depuis ses balbutiements avec ses hauts et ses bas. Comme pour l’explosion du medium série tv depuis 15 ans, c’est le triomphe d’une forme de narration de très longue durée aux antipodes de ce en quoi consiste de façon traditionnelle la narration cinématographique telle qu’on y a été habitués.


Cette logique du "toujours plus" est belle et bien un contresens cinématographique selon des critères traditionnels mais ces critères deviennent ici caducs. On est face à un film qui tient plus de la transcription du cross over/event de comic book (qui n’avait pas grand sens non plus au début dans le medium bande dessinée mais qui s’est finalement démocratisé) sur grand écran qu’autre chose. Libre à chacun de rejeter cette approche évidemment, mais pour un studio auquel on reproche beaucoup son extrême formatage et son manque d’ambition artistique, force est de constater qu’ils ont réussi à fondamentalement faire évoluer l’idée de ce à quoi peut ressembler un blockbuster au cinéma en 2018 par rapport à ce qu’on pouvait voir il y’a 10 ans.

StevenSingalls
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le 27 avr. 2018

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