L'Homme à l'époque de sa substitution technologique

Parlons franchement, il n'y a pas chez Joss Whedon a priori matière suffisante à susciter l'intérêt. Pourtant Avengers : L'Ere d'Ultron rassemble un certain nombre de thèmes qui le rattachent à la tradition du grand cinéma américain tout en creusant des questions particulièrement actuelles.


A l'origine d'Ultron, il y a une paranoïa : celle de Stark. A lui seul, il représente l'ambiguïté des Etats-Unis, que le désir naïf d'un monde en paix amène à exporter la guerre constamment. L'accueil qui est fait aux robots par les populations qu'ils viennent soi-disant protéger au début du film est significatif de ce malentendu. Il est bien évident qu'une production Marvel-Disney ne peut pas sombrer dans le tragique et la critique trop appuyée mais les scènes de batailles, bien que nulle victime ne soit montrée, n'en sont pas moins difficilement soutenables de violence, et l'action de sauvetage d'Iron Man venant au secours d'UNE famille dans un immeuble qui s'effondre laisse supposer le nombre de celles qui ne le seront pas, mais c'est hors-champ, comme l'étaient les victimes en Irak, Afghanistan, Libye, etc.


Il faut voir le passage dans la maison de Clint Barton comme un moment élégiaque, avec de grands plans d'ensemble, un ralentissement dans le montage. C'est le retour à la nature et il y a du Walden dans cette parenthèse. Il est bien évident que toute comparaison autre que thématique avec Cimino, Malick ou Michael Mann (en creux chez lui : la tragédie comme impossibilité à sortir de la ville) par exemple, prêterait à rire mais il y a là, logé dans le creux d'un film d'action une accalmie qui est une tentation. Le drapeau américain flottant au vent ramenant à une certaine idée originelle des Etats-Unis tels que Thoreau, Twain, London et d'autres s'en sont faits les chantres. Et il n'est pas anodin que là se trouve réunis la nature, le foyer et l'amour. La migration des Vengeurs en fin de film de la ville à la campagne a le même sens.


Ceci nous ramène au début du film, lorsque Barton se fait soigner ou plutôt "réparer". Dans cette scène qui s'amorce par un traveling "impossible" puisque la caméra doit "passer" à travers une vitre qui unifie la réparation des robots par la machine à celle de Barton, les thèmes passés en revue organisent tout le film : la supplantation de l'homme par la machine, le passage de l'exosquelette (Iron Man) au transhumanisme ("réparation" de Barton qui aboutira à la création de Vision), et la question de l'amour et de la mortalité. Barton précisant qu'il n'a pas de "copine". Nous apprendrons qu'il a une femme.


Ces thèmes trouveront leur résolution heureuse lors de l'ultime confrontation entre Vision et Ultron. La mortalité est alors comprise comme une bénédiction : c'est elle qui donne leur valeur aux choses, qui en compensation nous fait aimer : en effet, c'est la précarité de son passage qui procure à l'homme la nécessité de l'élection. A l'éternel tout est indifférent, puisque tout sera accompli et connu. C'est le mortel qui doit choisir à quoi et avec qui il passera son temps, qui lui donne le goût. Il y a pourtant substitution au sein des Vengeur d'Iron Man par Vision, les autres étant des personnages "augmentés" (la mutanité n'est pas la question que porte Avengers, elle est celle de l'humain sciemment amélioré). Cette substitution est importante et le nombre de plans dans le film sur le visage de Stark sous son armure signe la grande différence entre les deux héros. Il n'y a rien "sous" le costume de Vision sinon plus encore que la question de l'identité, celle de l'humanité. Et sont alors soulevées les interrogations les plus actuelles de l'éthique contemporaine, celles qui agitent la Silicon Valley et dont on ne sait plus si elles relèvent de la science fiction, de la fiction ou de la science.

reno
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le 16 août 2016

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