Le plan financier est lancé, Marvel va nous abreuver de ses hyperproductions. De qualité inégale, les films de super-héros forment désormais un genre plus qu’une mode. Ancrés dans l’industrie, l’un finançant l’autre, ils vont débouler en batterie. Avec la logique sérielle, présente depuis toujours, mais définitivement de mise. Le premier Avengers proposait un fatras bien préparé. Tous ses bienfaiteurs, présentés dans leur opus propre, convergeaient dans une même toile d’esbroufe. Trois ans après, la suite s’engouffre dans la brèche en laquelle elle bat les sceptiques.
« Du fun, du pop, du clin d’œil ». Pour Dick Tomasovic, chercheur à l’ULg friand de l’écurie en collant, l’œuvre réitère sa recette. Le réalisateur Joss Whedon alterne les bourre-pifs sans bourrage de crâne. L’enjeu au galop ne chasse pas l’humour naturel des égéries Marvel. « On va régler ça par la discussion », promet Iron man avant de cribler. Rien de subtil, juste un décalage adéquat. Désarmer le sentencieux paraît essentiel. Le rythme autorise du développement à ses actants. Pas de la psychanalyse, du corps. De la matière qui rend plus humaines ces figures surnaturelles que certains penchants humains. On pense à Cooper d’Interstellar, dont on déplore le gâchis. Disposer de Conaughey et le confiner dans un carcan patriotique attriste tant il excelle dans True Detective. Lisse, sans malice, le bonhomme sirupeux reflète le blanc tel un prisme.
L’univers de Nolan démarre pourtant bien : avec des zigzags. Des détours du récit magnifient sa créativité et permettent d’explorer déjà, les pieds encore sur terre, l’apocalyptique futur dépeint. Famine, poussière, reconversion des élites en agriculteurs… Solide. Puis, à l’aune de la véracité, Interstellar dérape parce qu’il s’obstine à demeurer rectiligne. Tous ses éléments annexes (le fantôme de Murph, la vision d’Amélia) correspondent, une fois l’histoire refermée, à un écho ultérieur dans le film. L’humour d’Avengers 2 a beau relever du rase-motte, il rompt la machinerie qui propulse Nolan dans la stratosphère. Quand l’on présente la famille d’Hawk eye, l’archer-bricoleur de véranda, cela n’annonce pas un kidnapping de ses bambins ensuite. Pour respirer, les personnages ont besoin de parts d’existence déconnectées des rouages narratifs. Lorsque l’on touche, comme souvent, à des enjeux d’envergure planétaires, le harnais doit céder de plus belle.
Ces oisillons dédramatisent le vautour-scénario. Plutôt que d’amidonner ses péripéties, Whedon mise sur le folklore pyrotechnique. Plein d’aspérités, les super-héros disloquent leur bienveillance, rivalisent de discorde. Le Dr. « Hulk » Banner, avide d’high-tech, bâtit avec Stark une intelligence artificielle qui maintiendrait la paix. Elle se rebiffe, devient le destructeur Ultron. Vient son armée de clones, la remise en question des dommages collatéraux des joutes musclées. On accède à un zeste des affects de Thor et sa clique. Grâce à ces micro-développements des colosses qui n’en nécessitent pas plus, le cinéaste peut gérer l’ire pour la digérer. L’unité vacille, la manière de sauver le monde ne va pas de soi. Il arrive qu’on assiste à un chaos à l’écran, moins à cause d’un trop-plein d’action que de dissonances inévitables entre les titans. Ils conservent une part d’imperfection dont découle une humanité, paradoxale mais savoureuse.
Sous les ciseaux d’un producteur, Avengers 2 s’est éludé de vingt minutes. On ressent l’évacuation de certaines scènes, le raccourcissement d’autres. Le montage elliptique tire sur la corde sans l’effilocher : les temps-morts subsistent. L’impasse concerne des pans annexes de l’action. La suite logique des interventions en pâtit un peu. Elle peut. La singularité des super-héros et de leur antagoniste ambivalent restent intactes. Elles jouxtent une dérision qui convaincra même les réticents. En brandissant du second degré, Avengers 2 réfracte le ridicule. Comme les Gardiens de la galaxie avant lui, il incarne un pur divertissement. Sans omettre d’inclure des personnages ambivalents, « dont on respecte le caractère installé dans les comics », assure Dick Tomasovic. On vogue vers un pinacle d’enthousiasme cohérent. Reste à s’en réjouir.
Certains affinent leur bouche. Pourquoi tirer la tronche à son plaisir ? Octroyer une accalmie à son scepticisme revanchard offre une détente rêveuse. L’assumer, succomber, tomber le masque oxygènent. Là où Interstellar agence un câblage ultra-imbriqué, Avengers 2 débranche et nous nimbe d’une éclipse réconfortante. À la lumière de sa bougie, aucune emprise de tête.

Boris Krywicki

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le 26 avr. 2015

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