Plutôt la vie.
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le 23 janv. 2015
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Akira Kurosawa a réalisé trois films sur le thème de la médecine (L’ange ivre, Duel silencieux et Vivre -à voir prochainement) il continue en adaptant l’ouvrage de Shugoro Yamamoto, Barberousse. Un film de plus de trois heures qui semble bien long mais nécessaire pour mettre en image chaque saynète. Les histoires que nous racontent les patients, éclairent sur leurs pathologies. Kurosawa adapte pratiquement à la lettre la narration du romancier, maniant flashback et temps présent. Les enjeux moraux et sociaux sont pointés, la misère mais aussi l’ignorance, le soin et la lutte contre les maladies bien souvent existentielles.
Dans le Japon féodal, Yasumoto (Yūzō Kayama), jeune novice sorti de l’école hollandaise se confrontera aux méthodes du médecin, Kyojio Niide dit Barberousse (Toshirō Mifune). Ce curieux dispensaire, lieu de convergence de miséreux, Yasumoto n’en veut pas et se rebellera. Pourtant, ce sont elles, ces personnes démunies et qui n’ont jamais rien eu qui viendront à bout de sa vanité et bien sûr Barberousse, qui l’aidera à faire preuve d’empathie. Barberousse, un tantinet grognon, parfois malhonnête, se fustigeant lui-même mais ne changeant pas d’un pouce, au sourire rare mais à la patience indécrottable… et qui à chaque réflexion se lissera la barbe d’un air rêveur.
Akira Kurosawa met en valeur le texte profondément humaniste de l’écrivain pour décrire ce microcosme oublié du Shogunat.
Yasumoto, confronté à une belle femme dangereuse, rusant sur sa position de victime, sera séduit tant par le personnage que par sa certitude de pouvoir la soigner. Il sera sauvé par Barberousse au moment-clé de l’agression, la scène en elle-même n’est pas franchement horrifique, elle ne sert qu’à pointer la fausse compétence du novice. Une autre scène liée au corps féminin verra Yasumoto s’évanouir face à la nudité franche et montre le chemin qu’il lui reste encore à parcourir avant d’être ce merveilleux médecin auquel il aspire sans trop avoir à réfléchir. Le rapport à la mort confrontera encore Yasumoto à lui-même. Mais au fil du temps la conscience fait son chemin...
La caméra joue habilement de l’espace, de l’enfermement et de menus détails. Les décors s’ouvrant sur l’extérieur apportent du souffle et la photographie transporte. La lenteur de la narration accompagne celle des plans qui s’attardent longuement sur les personnages. Cadrages serrés sur des visages en souffrance, jeux de lumière, ombres, pluie, et autres bourrasques, propres au cinéaste, auxquels apparemment il ne peut se soustraire... La relation maître disciple aussi, et Yasumoto prendra à son tour le rôle du réconfortant, pour comprendre enfin la difficulté de Barberousse à mener à bien son travail.
Malgré parfois l’excès de jeu, l’ensemble des seconds rôles participe pleinement à l’ambiance dramatique. On reste saisi par le jeu du très jeune Chobo (Yoshitaka Zushi). La scène des femmes hurlant et criant pour que son esprit reprenne possession du corps et le ramène à la vie, intense, pour un soupçon de légende.
L’histoire d’Onaka, racontée par son mari, dévasté par l’absence, et leurs envolées d’amour sont absolument théâtrales et parfaites. On passe du rire à la gorge nouée bien souvent et malgré l’aspect légèrement emprunté, la beauté des scènes est constante et l'émotion gagne.
Pas de batailles hormis celle d’un combat vengeur qui nous rappelle bien que Barberousse est un homme qui ne s’en laisse pas compter et qui rappelle aussi fortement le film de Takashi Koizumi « Après la pluie » où notre samouraï sans maître Ihei Misawa (Akira Terao) tout en désinvolture, mettra à terre une bande d’affreux personnages.
Entre deux, la société sera pointée, mettant en évidence la vulnérabilité de l’enfance bafouée, le rapport à l’autre et sa place au monde, avec le suicide comme ultime solution à la misère.
Le film accuse quelques longueurs et le seul reproche que je peux faire est bien le même que l’ouvrage, l’ensemble se révèle assez simple voire léger. Il s’agit bien du récit initiatique de Yasumoto plutôt que de dénoncer franchement la misère du peuple.
Mais l’art et la manière du cinéaste laissera les 3h défiler et j'en ressors imprégnée de ses bienfaits.
Lire le livre était une bonne idée aussi.
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Créée
le 29 juin 2018
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