Akira Kurosawa a réalisé trois films sur le thème de la médecine (L’ange ivre, Duel silencieux et Vivre -à voir prochainement) il continue en adaptant l’ouvrage de Shugoro Yamamoto, Barberousse. Un film de plus de trois heures qui semble bien long mais nécessaire pour mettre en image chaque saynète. Les histoires que nous racontent les patients, éclairent sur leurs pathologies. Kurosawa adapte pratiquement à la lettre la narration du romancier, maniant flashback et temps présent. Les enjeux moraux et sociaux sont pointés, la misère mais aussi l’ignorance, le soin et la lutte contre les maladies bien souvent existentielles.


Dans le Japon féodal, Yasumoto (Yūzō Kayama), jeune novice sorti de l’école hollandaise se confrontera aux méthodes du médecin, Kyojio Niide dit Barberousse (Toshirō Mifune). Ce curieux dispensaire, lieu de convergence de miséreux, Yasumoto n’en veut pas et se rebellera. Pourtant, ce sont elles, ces personnes démunies et qui n’ont jamais rien eu qui viendront à bout de sa vanité et bien sûr Barberousse, qui l’aidera à faire preuve d’empathie. Barberousse, un tantinet grognon, parfois malhonnête, se fustigeant lui-même mais ne changeant pas d’un pouce, au sourire rare mais à la patience indécrottable… et qui à chaque réflexion se lissera la barbe d’un air rêveur.


Akira Kurosawa met en valeur le texte profondément humaniste de l’écrivain pour décrire ce microcosme oublié du Shogunat.
Yasumoto, confronté à une belle femme dangereuse, rusant sur sa position de victime, sera séduit tant par le personnage que par sa certitude de pouvoir la soigner. Il sera sauvé par Barberousse au moment-clé de l’agression, la scène en elle-même n’est pas franchement horrifique, elle ne sert qu’à pointer la fausse compétence du novice. Une autre scène liée au corps féminin verra Yasumoto s’évanouir face à la nudité franche et montre le chemin qu’il lui reste encore à parcourir avant d’être ce merveilleux médecin auquel il aspire sans trop avoir à réfléchir. Le rapport à la mort confrontera encore Yasumoto à lui-même. Mais au fil du temps la conscience fait son chemin...


La caméra joue habilement de l’espace, de l’enfermement et de menus détails. Les décors s’ouvrant sur l’extérieur apportent du souffle et la photographie transporte. La lenteur de la narration accompagne celle des plans qui s’attardent longuement sur les personnages. Cadrages serrés sur des visages en souffrance, jeux de lumière, ombres, pluie, et autres bourrasques, propres au cinéaste, auxquels apparemment il ne peut se soustraire... La relation maître disciple aussi, et Yasumoto prendra à son tour le rôle du réconfortant, pour comprendre enfin la difficulté de Barberousse à mener à bien son travail.


Malgré parfois l’excès de jeu, l’ensemble des seconds rôles participe pleinement à l’ambiance dramatique. On reste saisi par le jeu du très jeune Chobo (Yoshitaka Zushi). La scène des femmes hurlant et criant pour que son esprit reprenne possession du corps et le ramène à la vie, intense, pour un soupçon de légende.
L’histoire d’Onaka, racontée par son mari, dévasté par l’absence, et leurs envolées d’amour sont absolument théâtrales et parfaites. On passe du rire à la gorge nouée bien souvent et malgré l’aspect légèrement emprunté, la beauté des scènes est constante et l'émotion gagne.
Pas de batailles hormis celle d’un combat vengeur qui nous rappelle bien que Barberousse est un homme qui ne s’en laisse pas compter et qui rappelle aussi fortement le film de Takashi Koizumi « Après la pluie » où notre samouraï sans maître Ihei Misawa (Akira Terao) tout en désinvolture, mettra à terre une bande d’affreux personnages.


Entre deux, la société sera pointée, mettant en évidence la vulnérabilité de l’enfance bafouée, le rapport à l’autre et sa place au monde, avec le suicide comme ultime solution à la misère.


Le film accuse quelques longueurs et le seul reproche que je peux faire est bien le même que l’ouvrage, l’ensemble se révèle assez simple voire léger. Il s’agit bien du récit initiatique de Yasumoto plutôt que de dénoncer franchement la misère du peuple.
Mais l’art et la manière du cinéaste laissera les 3h défiler et j'en ressors imprégnée de ses bienfaits.
Lire le livre était une bonne idée aussi.

limma
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleurs films asiatiques

Créée

le 29 juin 2018

Critique lue 505 fois

18 j'aime

3 commentaires

limma

Écrit par

Critique lue 505 fois

18
3

D'autres avis sur Barberousse

Barberousse
Sergent_Pepper
9

Plutôt la vie.

[Série "Dans le top 10 de mes éclaireurs" : J. Z. D., Ochazuke, Torpenn ] « Ici, vous serez déçu. Avec le temps, vous comprendrez. » Grand film sur la misère à l’égal des Raisins de la Colère de...

le 23 janv. 2015

95 j'aime

5

Barberousse
Sassie
10

Peinture sociale chatoyante en noir et blanc

En commençant à regarder Barberousse, je me disais déjà que j'étais sceptique sur l'attribution d'un dix à ce film. Non je n'allais pas mettre un dix à un film se passant dans un hospice. Ca, c'était...

le 20 mai 2011

89 j'aime

11

Barberousse
Kobayashhi
10

Barberousse > Barbe-Bleue > BarbeNoire

C'est avec une certaine mélancolie que j'écris cette critique un peu particulière pour moi à bien des égards, déjà car c'est un des 3 longs métrages de Kuro que j'avais déjà vu. Durant ce marathon...

le 31 août 2013

72 j'aime

7

Du même critique

Apocalypto
limma
10

Critique de Apocalypto par limma

Un grand film d'aventure plutôt qu'une étude de la civilisation Maya, Apocalypto traite de l’apocalypse, la fin du monde, celui des Mayas, en l'occurrence. Mel Gibson maîtrise sa mise en scène, le...

le 14 nov. 2016

74 j'aime

21

Captain Fantastic
limma
8

Critique de Captain Fantastic par limma

On se questionne tous sur la meilleure façon de vivre en prenant conscience des travers de la société. et de ce qu'elle a de fallacieux par une normalisation des comportements. C'est sur ce thème que...

le 17 oct. 2016

60 j'aime

10

The Green Knight
limma
8

Critique de The Green Knight par limma

The Green Knight c'est déjà pour Dev Patel l'occasion de prouver son talent pour un rôle tout en nuance à nous faire ressentir ses états d'âmes et ses doutes quant à sa destinée, ne sachant pas très...

le 22 août 2021

59 j'aime

2