Il fut un temps où Batman n'était pas l'objet d'un nouveau reboot, ou de conjectures complexes sur son devenir. De nos jours, on est en train de l'imaginer comme le membre d'une ligue qui risque quand même de faire un chouette flop. Enfin, c'est amusant parce qu'à l'époque, celle où Batman n'était encore qu'un comics - même bon, hein ! - on disait à peu près la même chose de la future adaptation. On disait sans doute pire, puisque Micheal Keaton a pris un poil cher à l'annonce de sa participation. Et pourtant, Tim Burton a tenu bon la barre. Et cela donne l'un des meilleurs films de super-héros, preuve en est que parfois, il s'agit surtout de se tenir à sa vision artistique. Après, n'est pas Burton qui veut non plus, m'enfin.

On est à la fin des années quatre-vingt et Gotham est pourtant la ville la plus gothico-romantico-corrompue des mégapoles américaines, un mélange adroit de New York et des plus mal famés des quartiers de Calcutta. Gotham donc, où Martha et Thomas Wayne ont eu la saugrenue idée, alors même qu'ils sont riches, ont un majordome et pourraient attendre paisiblement un taxi, de prendre une ruelle sombre pour rentrer chez eux. Le chez eux en question étant un magnifique manoir en dehors de la ville. Quelle idée, vraiment. Bon, du coup, boom, chacun d'eux se ramasse un pruneau devant les yeux horrifiés de leur fils, qui restera perturbé à vie. Pour se venger, enfin, on sait, hein, je vous la fais courte : il se fait un alter-ego et commence à faire régner la justice dans la ville. Bon, comme cela a l'air d'inspirer les gangsters, il se trouve rapidement un ennemi pour s'opposer à lui, un brave homme du nom du Joker.
Allez, commençons par les trucs qui fâchent : ouais, Batman utilise plusieurs fois des flingues, chose assez stupéfiante. Ouais, on a une origine à l'histoire du Joker. Et ouais enfin, le choix de Micheal Keaton n'est pas évident. Si l'on devine assez vite que l'acteur a quand même du répondant et tombe même parfois très juste, c'est pas facile pour autant. Déjà parce que le parti-pris du traitement de Batman-Bruce Wayne est très radical - on dirait que le réalisateur veut présenter deux demi-personnages. Ensuite parce que physiquement, c'est pas l'expression la plus parfaitement proche qui soit de l'image qu'on se façonne de Bruce Wayne, un peu plus musculeux, un peu plus anguleux. Et pourtant, Keaton a cette tension, cette allure un peu distante et cette présence en Batman - qui se matérialisera davantage encore dans le second opus. Bon, outre Keaton, il y a l'image qui a vieillit légèrement, mais ça, c'est les années quatre-vingt, frère, c'est quand même bien la classe. Ah, on a aussi une Kim Basinger qui minaude une partie du temps, mais là aussi, c'est le premier épisode, il faut quand même la part de damsel in distress, pour rassurer l'audience.
Passons maintenant à tout ce qui est bon dans ce film. Eh ben la liste est quand même longue. Gotham est d'une grande beauté, gothique, certes, mais enténébrée, hallucinée. Mieux, l'affrontement entre Batman et le Joker est particulièrement jouissif et le film présente bien le contraste entre les deux personnages, véritables antithèses l'un de l'autre - ou pas tant que ça, finalement ? Entre un Batman sombre, noir et un Joker complètement habité par la culture pop et les couleurs, on peut dire que le film sait clairement comment mettre au centre de son histoire ces deux gaillards au caractère bien trempés. On est déjà dans l'embryon de ce que sera le film suivant, encore plus focalisé sur ses personnages. Et la lecture du Joker est vraiment classe. L'idée d'en faire un espèce d'esthète, un artiste dont la toile est Gotham et la peinture le chaos, c'était un angle bien vu, bien amené. D'autant que bon sang, Jack Nicholson est en grande grande forme, interprétant une version du clown parfaitement diabolique et jubilatoire. Depuis, on a eu la version d'Heath Ledger, particulièrement bonne aussi - et du coup, on a eu tendance à oublier celle de ce bon vieux Jacky et pourtant... Les deux sont plutôt complémentaires et très franchement, je ne saurai choisir laquelle je préfère - bien qu'évidemment, celle de Ledger soit la plus moderne. Cela dit, à bien y regarder, le Joker de Burton révélait déjà aux bons citoyens de Gotham leurs vices, jetant sur ces derniers nombre de dollars avant de les assassiner sur fond de Prince. La classe.

Au fait, en parlant de musique, il faut citer notre bon vieux Danny-boy. Parce que là, Danny Elfman, wow. J'y avais pas tant fait attention dans la suite - et pourtant, là aussi Danny fait du bon boulot. Mais ici, j'ai été un peu plus attentif à la musique de ce fascinant bonhomme. Et là, sa composition m'a complètement abasourdi. C'est juste incroyablement prenant. Pire, cela ajoute à l'ambiance étrange qui se dégage du métrage, cela permet aussi de nuancer ce Batman, irascible et pourtant sur le fil du rasoir. La partition de ce génie fait sans aucun doute la moitié du boulot, pour concevoir le mythe de l'homme chauve-souris.

Tout ça pour dire. Ça poutre. C'est clair et net. Par contre, c'est dommage d'avoir revu le deuxième opus avant celui-ci, parce que du coup, j'ai eu l'impression de voir en celui-ci l'embryon de la folie déployée pour le deuxième, qui est quand même plus abouti. Ici, on se tient encore dans les gimmicks et les passages obligatoires du comics - mais en bien amenés, hein ! - que Burton a l'air d'apprécier sans connaître. C'est toutefois clairement la figure du Joker qui remporte les suffrages du réalisateur et bon sang, ce méchant a de l'envergure. A la fois artiste et fou, doué malencontreusement en chimie, il insuffle au film ce charme très eighties et délirant qui permet à Batman - le film - de s'affranchir d'un sérieux peut-être un peu trop moribond, qu'on pourra reprocher plus tard à Nolan. Bref, du lourd, du très très lourd, servi par un Elfman en très grande forme et un Nicholson à fond les ballons.
0eil

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