Black and Blue

Je décide de défendre ce film qui malgré des défauts ne mérite pas de se faire traîner dans la boue.

Je précise une chose. J'apprécie particulièrement l'univers de Batman dont je suis un fan absolu. Je suis moins tourné vers les trucs genre Justice League et compagnie mais quand c'est bien, je ne boude pas mon plaisir, une histoire reste une histoire, si elle est globalement bien racontée, je suis preneur. Après tout, Superman reste aussi un héros de mon enfance.

Au rayons des défauts de ce film que trouve-t-on réellement à mes yeux ? On parle souvent de montage décousu, d'intrigue mal foutue et lente à démarrer. Là-dessus, je suis partagé. Partagé parce que effectivement, le film prend son temps pour exposer. Il y a peut-être éventuellement un moment au début du film où on se demande : où ça nous mène ? on me raconte quoi ? Quelles sont les motivations profondes des personnages? Est-ce réellement un mauvais montage, des scènes qui méritent leur fameuse version longue pour plus de développement ? ou est-ce notre habitude à ce que les blockbusters super héroïques donnent tout de suite une situation claire, des enjeux claires et simplistes, des méchants très méchants et des gentils très gentils qui font tout péter et nouent une romance entre eux le temps d'un sauvetage et trois explosions au milieu de quelques lignes de dialogues creuses qui donnent à ce film un rythme auquel on est pas habitué.

La question se pose. Probablement un peu de tout ça à la fois. L'écriture de ce BvS est loin d'être mauvaise pour moi. On a pas l'habitude des films de super héros où il faut écouter le dialogues qui sont lourd de sens sans toujours tout illustrer mais au contraire qui exposent en filigrane la ligne du personnage et le conflit qui prend place avec un autre ou avec lui-même. On a pas l'habitude que l'image prenne le pas sur le sens plutôt qu'un bon gros dialogue hyper illustratif également et ce film recèle d'images, de plans qui racontent autant que les dialogues si on prend la peine de bien regarder et de bien vouloir se laisser imprégner par le sujet. Certains disent que le film est creux et se donne des airs de philo. C'est au bon goût de chacun. Je défends tout genre de cinéma et sans dire que celui-ci ressemble à un exposé intellectuel de haute volée, sa construction thématique et philosophique est bien présente et exposée avec plus de finesse qu'on veut le faire croire. Dans ce qui est dit et dans ce qui est entre les lignes.

En fait, le gros point noir du film selon moi, c'est cette vision cauchemardesque de Bruce Wayne qui offre une rupture de genre trop brusque. Même en tant que fan de l'univers, le procédé est un peu maladroit et peut facilement perdre le spectateur durant ces longues minutes de parenthèses qui ont un sens mais hélas, on a du mal à suivre, surtout avec un deuxième rêve consécutif présentant Flash que certains reconnaîtrons, parce qu'ils ont lu les livre et le pauvre grand public va juste se dire "mais qu'est-ce qu'il se passe, bordel ?" Le film demande déjà un effort d'attention, si en plus, il y a des passages psychédéliques... Heureusement, c'est la seule scène de ce genre. Le reste des rêves riches en symboliques sont bien mieux amenés si on prend la peine de vouloir les interpréter ou les questionner.

Tout ça pour dire quoi ? Non. L'écriture n'est pas catastrophique. Elle souffre de quelques coquilles mais ce film a un énorme mérite. Parce qu'il ne se borne pas à se faire affronter Batman et Superman d'où un autre défaut : sa communication "mensongère". Le film traite évidemment de cet aspect mais ce n'est pas le thème principal. Puisque ce film pose de nombreuses questions autour de concepts : qu'est-ce qui définit un homme ? Un Dieu ? Jusqu'où peut-on faire le bien ? A partir de quel moment lorgne-t-on vers le Mal ? Comment pourrait-on gérer un être tel que Superman dans notre monde ?

Alien esseulé sur Terre, Superman n'est pas considéré comme un homme. Alors que tous se questionne sur sa condition, la parole la plus sage ne revient-elle pas à cet anonyme durant la séquence d'information "il n'est ni Jésus ou Satan, juste un type qui essaie de bien faire". L'antagonisme entre lui et Batman intervient ici. Pour Superman, le justicier est dangereux et doit être arrêté. Mais lui-même est indirectement la cause de plusieurs morts malgré tout son pouvoir. Superman, objet divin, sauveur ou menace ? 
Le film laisse une place assez réduite au doute pour le moment. Superman est bon (bien qu'une vision nous laisse apercevoir que cela peut ne pas durer) mais il est perçu avec méfiance par celui auquel on va s'identifier. Batman. Un Batman plus vieux et brisé. Sa quête n'a rien amené de bon, elle est sans fin et aucune lumière au bout du tunnel. Ce Batman là méprise parfois carrément la vie humaine en tuant ou laissant mourir. Ce Batman ne croit plus en rien, ni en l'homme, ni même en lui-même. Rongé par la colère et la peur de voir cet être surpuissant tout raser, il n'écoute que ses pulsions et décide de l'abattre, pensant ainsi sauver l'avenir du monde. Noblesse du geste ou simple réaction de vengeance et de colère. Ce Batman est diablement intéressant et sa rencontre avec Superman lui offre surtout la rédemption. Il est loin du Batman qu'on connaît et cela peut chambouler le fan. Le recul d'Alfred ne servira à rien. Bruce Wayne a décidé que Superman, un jour ou l'autre deviendrait dangereux et qu'il a laissé suffisamment de gens mourir à cause de lui. 

Au milieu des deux gladiateurs. Lex Luthor. Effectivement, le côté fou fou du personnage donne des arrières goûts du Joker mais seulement pour ceux qui s'obstinent à rester à la surface. Luthor a une façade en public. Il a un comportement bien différent lorsqu'on le voit seul. Fini le numéro de clown. Plus encore, le personnage parle énormément. On peut décider qu'il est fou et que ce qu'il dit n'a aucun sens mais chacune de ses répliques lui donnent de l'envergure. Il a sa logique et contrairement au Joker, la vie ne lui semble pas drôle, il ne cherche pas à créer du chaos juste par plaisir. Il parle souvent de son père dont personne n'est venu le sauver. Tout aussi terrifié par les capacités des surhommes, il est certain que le pouvoir ne peut être innocent et que Superman n'est pas ce dieu de bonté sauveur de la planète. Il est une imposture. Une menace potentielle. Tout puissant comme son père envers lui. Mais du coup, certainement pas bienveillant. Dans ce cas, pas tout puissant. Dans ce cas, une figure à dépasser, car certainement pas au-dessus de l'homme? De lui ? Luthor projetterait-il l'image de son père sur le tout puissant et menaçant Superman ? Pour détruire l'homme d'acier et son image, il va jusqu'à créer une abomination qui aurait pu l'entraîner avec lui dans la destruction du monde. Avant cela, il compte sur la haine de Batman envers l'alien.
Peut-être un très léger bémol : comment a-t-il pu découvrir les identités secrètes des deux héros? C'est crédible mais pas du tout expliqués On sait qu'il est Luthor, qu'il a des moyens et qu'il est très intelligent donc ça passe mais bon, petit bémol.

Le rôle de Luthor est principalement là. Il attise notre peur, notre rage, notre colère face à ce que nous connaissons pas. Il représente la xénophobie même envers ce qui est différent et il l'encourage. Chez un être aussi blessé que Batman et aussi remonté contre l'homme d'acier responsable de nombreux morts, ça ne pouvait que marcher. Et voilà qu'arrive la confrontation tant attendue :

Elle a tendance à décevoir les gens parce qu'elle n'occupe qu'une dizaine de minutes et se finit sur une alliance que beaucoup trouve légère. Mais revenons sur ce point clé du film. Superman n'aura jamais paru aussi faible face à un Batman impitoyable, refusant tout dialogue et décidé à abattre le kryptonien. Ce n'est pas juste le nom de sa mère qui va réveiller le vrai batman sommeillant encore en lui. Le nom arrête le geste, mais c'est Loïs se jetant sur Superman et dévoilant qu'elle est sa mère qui fait oublier le dieu Superman et dévoile l'identité véritable : Clark Kent. Jusqu'à maintenant, Batman voyait en Superman une menace alien mais certainement pas un humain alors qu'il lui en prêtait tous les défauts. Non seulement ces mots lui font prendre conscience qu'au delà de son statut de dieu, d'extra-terrestre, Superman est comme lui et que s'il continue, il va en faire un orphelin. Il est le monstre de l'histoire alors que Superman malgré des erreurs et des dommages collatéraux était bien le personnage le plus humain du film.  

Ce simple point commun paraît léger mais je persiste à dire que trouver cette scène ridicule c'est s'armer de tout son cynisme contre une vague de sentiment positif qui vient immerger le film après deux heures de noirceur absolus. Batman n'est pas un assassin. S'il est devenu un justicier c'est pour rendre justice à la mort de ses parents, protéger leur héritage, empêcher que cela se reproduise pour d'autres. Il retrouve le pourquoi de sa lutte contre le crime à ce moment précis. A partir de cette scène, on commence à retrouver le Batman qu'on connaît. (il tue encore un ou deux types dans l'urgence de la situation sans sourciller mais ne marquera pas Luthor à la fin ce qui est synonyme de mort en prison) Une belle remontée pour le chevalier très noir.

Pour couronner le tout, Superman va donner sa vie afin de sauver la Terre. "c'est son monde" Lois, la terrienne est aussi "son monde" il va mourir pour lui. Alors. Qu'est-ce qui définit un homme ? Un Dieu ?

La bataille finale est un morceau d'anthologie en puissance. Le film posant tranquillement son contexte et son univers, on apprend auparavant que d'autres personnes aussi extraordinaires que Superman existent en secret. Il est le premier à s'être dévoilé (et à en faire les frais) et les autres sont dans l'ombre exceptés Wonder Woman qui après avoir rejeté l'humanité décide d'aider le duo. Combat épique, intense et au final poignant avec un méchant qui envoie du lourd, le terrifiant Doomsday. ce BvS remplit sa fontion d'introduction à un univers vaste et riche. Lex Luthor devrait gagner en maturité après son passage prison, Batman devrait retrouver la voie qui faisait de lui un justicier certes torturé et brutal mais retrouvant sa volonté de fer. Quant à Superman, on se demande comment il va revenir (ça, ça me fait un peu peur par contre. Le comment ?) Vivement la suite, que Snyder écoute quelques critiques constructives pour améliorer ses défauts, pense à clarifier un peu ses films pour les néophytes, veille à garder cet axe thématique et ses enjeux forts et tout devrait bien se passer pour la suite.

En quelques mots, pour ceux qui n'ont pas lu, ce film est bon. Il demande de l'attention car il vous plonge doucement dans un univers et prend le temps d'exposer ses enjeux sans trop expliciter tout de suite. Son sujet central n'est pas Batman qui se bat contre Superman mais porte plus sur des question conceptuels. Je croyais moyen à l'ajout de Doomdsday, je trouvais ce film incroyablement casse gueule, surtout avec l'arrivée de Wonder Woman mais tous ces ajouts sont remarquablement bien traités. Ce film chamboule les codes, il adapte les personnages à sa manière sans trop de fidélité sur tous les points et ce n'est pas grave au contraire. Derrière tout ceci, malgré ces défauts par-ci par là, le film tient la route, a un sujet claire pour qui veut bien écouter sans rester le nez plongé dans ses pop corns, pour qui veut bien laisser parler l'enfant en lui qui aime ces univers emprunts de mythologie. Derrière quelques petites maladresses se cachent une vraie vision, une ambition de raconter une histoire et rien que pour cela, qu'on aime ou pas après, ça chacun se fait son truc, ce film ne mérite pas de se faire traîner dans la boue.