Concernant des personnages tels que Batman ou Superman, voire, dans une moindre mesure, Wonder Woman, il y a inévitablement tout un bagage (plus d'un demi-siècle d'histoire, tout de même) qui leur est attaché et les suit partout, dans la moindre de leurs incarnations -- toute interprétation de ces figures ne peut être que ça : une réinterprétation, une remise en scène qui sera, invariablement, jugée à l'aune des incarnations qui l'auront précédée -- dont les importances relatives sont évidemment toutes subjectives.


Batman v Superman : L'Aube de la Justice, titre abominable qui révèle (comme si le film se faisait discret à ce sujet) les ambitions sérielles du long-métrage, se place bien sûr dans cet héritage. Faisant suite directement à Man of Steel, dont le final apocalyptique avait marqué les mémoires, aussi bien dans la fiction que dans la réalité, il se propose d'opposer ces deux figures titulaires de DC : le surhomme de Krypton contre le justicier de Gotham. Quel programme ! Il s'agit également de mettre en place la nouvelle franchise, à grands coups de scènes maladroites qui auraient été avantageusement remplacées par un insert en fin de générique « On revient ! Bientôt ! Vous viendrez voir, hein ? », plutôt que d'alourdir un film déjà confus (et je parle de la version Ultimate Cut, qui semble-t-il, fait déjà beaucoup pour clarifier la narration).


Une chose certaine que Zack Snyder aura prouvé de manière constante tout au long de sa carrière : il sait filmer. Il sait construire une scène, une image, proposer une valeur esthétique et dynamique bien rare dans ces films d'action grand public (Marvel, en particulier, est loin derrière sur ce plan). Si je regrette les merveilleux affrontements cinétiques de Man of Steel, les scènes d'action sont puissantes, bourrines, généralement lisibles - merci les ralentis -, et surtout, d'un ton différent suivant le héros mis en scène : Batman massacrant une bande de malfrat a une énergie très différente de Superman se bastonnant dans l'atmosphère avec le Monstre du Troisième Acte. Malheureusement, sorti de ces considérations visuelles, il est nettement moins doué, et livre un film trop long, complexe plus par manque de clarté que par une véritable densité de propos. Sans compter le principal problème de Batman v Superman : pour qui est-il ?


Ce qui devrait -- pour des raisons évidentes de marketing, ou d'histoire de ces personnages -- être un film destiné à (ou à tout le moins, visible par) des enfants ou pré-adolescents s'avère être un film volontairement sombre et extrêmement violent -- l'on assiste, entre autres, au massacre d'un camp de terroristes à « Nairomi, Africa » (oui, vraiment), qui se conclut par la crémation d'une pile de corps que le film se fait un plaisir de nous mettre devant les yeux --, qui s'affaire ouvertement à détruire ses icônes plutôt qu'à l'érection d'un monument au Bien. J'ai certes vu le film en version Ultimate, mais le film est sorti au cinéma affublé d'un avertissement du CNC pour « violence et situations agressives répétées qui ne sont pas adaptées à un jeune public ». Quand on parle de personnages dont on suivait les aventures le samedi matin à la télévision, dont ce film doit relancer la visibilité au cinéma pour la prochaine décennie au moins, on ne peut s'empêcher d'être surpris. Mais ce n'est manifestement pas ce public-là que ce film vise. Pourquoi pas, je suppose...


Ce que l'on a est un film qui semble conçu pour éveiller les pires clichés de notre adolescence : y'a du sang et des jurons, donc c'est mature ! Ah, si seulement... Le film est bien adolescent, dans le pire sens du terme : plein de posture et vide de sens. Les personnages s'expriment en sentences, déclamant leur Conception du Monde aux spectateurs bien forcés de les entendre, mais très confus par tout ceci. Je n'ai toujours pas compris de quoi Superman est-il bien accusé par la commission parlementaire américaine : est-ce de la non-assistance à personne en danger ? mais alors pourquoi cet évènement-ci plutôt que toute autre catastrophe... est-ce que l'on croit qu'il a lui-même tué ces miliciens ? mais pourquoi donc aurait-il utilisé des balles, dont les impacts sur les corps seraient visibles par n'importe quel médecin légiste... lui reprocherait-on alors d'être intervenu hors du territoire américain, sans supervision ? pourquoi pas ? l'un des axes principaux est bien que ce surhomme effraie, parce qu'il est véritablement indépendant... mais il signifie clairement, et à plusieurs reprises, son indépendance du pouvoir américain (le reste du monde étant bien sûr tout à fait inexistant).


Batman v Superman s'affaire ainsi de manière permanente à obscurcir les motivations de ses personnages, y compris lorsqu'elles devraient pourtant être évidentes : ainsi de la méfiance (voire haine) qu'entretient Mr. Wayne envers Superman, parfaitement mise en scène dans les scènes d'ouverture ; cette motivation en place, n'aurait-il pas été plus naturel de laisser cette tension monter toute seule, plutôt que faire intervenir un Lex Luthor dans le rôle du marionettiste, dont le plan est particulièrement peu clair, même si cela peut s'expliquer par une interprétation particulièrement fantasque du personnage -- on appréciera ou pas, mais reste que Jesse Eisenberg en mégalomaniaque à la diction sautillante est follement divertissant.


Le film est donc tiraillé entre ces deux objectifs : d'un côté, la montée de la tension entre Batman et Superman, dont l'opposition est naturelle tant leurs idéologies sont opposées -- même si les deux héros sont tiraillés par le doute, l'un à cause de son âge, l'autre à cause de ses manquements à un supposé devoir, là encore, jamais clairement défini -- ; de l'autre, il faut réussir à lier cette rivalité aux machinations maladroites de Lex Luthor, qui souhaite, pour on ne sait quelle raison, se débarasser à la fois de la Chauve-Souris et du Kryptonien -- en une nuit tant qu'à faire. Les deux conflits s'entrechoquent, mais malaisément : ainsi le combat entre les deux héros, qui arrive... alors que Superman ne veut pas se battre ! Et se conclut de manière... disons peu élégante. Donc, alors même que le film repose sur un conflit fondamental évident -- et facile à croire, ce Superman n'étant pas des plus aimable et ce Batman étant véritablement un justicier, dans toutes les acceptions négatives du terme --, il faut forcément introduire un ennemi commun pour éviter de conclure sur cet affrontement fraternel (c'est qu'on a une Ligue à former !) : ce sera un ogre de synthèse, face auquel lequel Superman mourra -- pas pour très longtemps, d'autant que c'est la seconde fois en quelques heures. Pour complexifier encore l'intrigue, on ajoute par-dessus les rouages politiques du Congrès américain, la mesquinerie infantile de Luthor, les rêves déments de Batman (et nécessitant, je suppose, un bagage minimal en comics pour y comprendre quoi que ce soit -- fort heureusement, ils sont oubliés aussitôt Bruce réveillé), le mystère de Diana Prince (honteusement sous-utilisé, mais Gal Gadot fait preuve d'une présence qui présage du bon pour les suites à venir). Pour un seul film, ça fait beaucoup -- même un peu trop.


Batman v Superman est un film ambitieux, trop dense pour son propre bien : il se perd dans son scénario, il s'emmêle les pinceaux thématiques, il lui faut supporter le legs de Man of Steel (la destruction de Metropolis, Superman en tueur) tout en assurant la promotion d'une demi-douzaine de longs métrages à venir (par un procédé risible) ; le tout, dans un enrobage souvent très agréable à l'œil, mais uniformément froid et dépressif. Bien loin d'un appel à l'espoir, d'un monument au courage, ce n'est que mise à bas des symboles, tristesse et pessimisme. La conclusion n'appelle d'aielleurs pas à la paix mais au combat, traçant par là les limites du futur DC Cinematic Universe.

Penro
5
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le 30 juin 2016

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Penro

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Kelemvor
4

Que quelqu'un égorge David S. Goyer svp, pour le bien-être des futures adaptations DC Comics !

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