L’addiction aux opioïdes est le nouveau , pour ne pas dire de nouveau, le fléau américain. Basée de manière ahurissante sur une débauche de médicaments anti-douleur tels que l’Oxycodin ou le Fentanyl, elle atteint surtout les petites villes, finit souvent par la phase ultime du shoot d’héroïne, et pas un jour ne passe sans qu’un nouveau drame d’overdose d’ados et d’adultes jeunes et moins jeunes n’apparaisse. C’est pourquoi n’est-on pas étonné que le sujet intéresse le cinéma, plus précisément le sujet des jeunes toxicomanes qui vivent encore sous la houlette de leurs parents, et des relations très difficiles que cela engendre dans les familles. Ce sont deux films qui ont simultanément été présentés au dernier Festival de Toronto, Le film du Belge Félix van Groeningen, My Beautiful Boy, pas encore vu par l’auteur de ces lignes, et celui de Peter Hedges, Ben is Back, sur nos écrans cette semaine.


Ben ( Lucas Hedges, fils du réalisateur, mais également un acteur très prometteur remarqué dans Manchester By The Sea) est le fils aîné de Holly Burns (Julia Roberts). La veille de Noël, alors que la famille de Holly revient des répétitions de la Nativité, elle est accueillie sur son perron par un Ben enjoué et volubile, dont on apprend très vite qu’il a eu une sorte de permission de Noël de son « parrain », cette forme de mentor qu’on trouve classiquement dans les programmes de désintoxication américains. Accueilli diversement par ses frères et sœurs, sa mère , son chien, Ben est en effet un toxico dont on se doute à la mine renfrognée de sa sœur que dans le passé, il n’a pas fait que le bonheur de sa famille.


Ben is back est un film qui ne chôme pas. Se déroulant sur pas plus de 24 heures, il est foisonnant. Dans sa première partie, la plus intéressante, il aborde la perte de la confiance et le chaos émotionnel qu’un toxico installe dans sa famille. Le cinéaste s’emploie, d’une manière efficace si pas complètement bluffante, à décrire les relations compliquées avec sa jeune sœur Ivy (Kathryn Newton), traumatisée visiblement par de précédents épisodes, et celles innocentes et joyeuses avec ses jeunes demi-frère et sœur, les enfants que sa mère a eus avec Neal (Courtney B. Vance), un beau-père tolérant tout juste sa présence. Des petites phrases par-ci, par-là, les médicaments et les bijoux vite rangés à peine le dos tourné traduisent bien la tension engendrée par la présence de Ben. Peter Hedges arrive même dans cette première partie à situer un contexte social ( « si Ben avait été un Noir, il aurait été en prison depuis longtemps » dit le beau-père exaspéré) et sociétal (le scandale de la prescription hallucinante d’opioïdes, la responsabilité des médecins, le silence du gouvernement). Les acteurs font le job et donnent un portrait de famille assez juste, même s’il faut bien dire que malgré ses implications personnelles, Lucas Hedges n’est pas très convaincant en junkie, trop clean pour une abstinence de même pas 3 mois…Julia Roberts délivre une partition fantastique, servie par un rôle riche où le personnage peut exprimer de multiples facettes de lui-même (la femme drôle et dynamique, la mère aimante, la wasp bourgeoise mais libre, mari noir, fréquentation sporadique de l’église, etc).


Malheureusement, comme si le réalisateur n’avait pas su comment maintenir ce rythme et cette tension, le film bascule dans une sorte de thriller improbable dont le point de départ est assez cousu de fil blanc. Tout ce qui suit n’est pas plus crédible, et ne ressemble plus qu’à un concentré de vilains clichés liés au monde des drogués (le méchant dealer, l’affreux pédophile, et on en passe) . Et Julia Roberts est cette fois en roue libre et fait ce qu’elle sait faire, une sorte de mère courage à la limite du cabotinage, lacrymale à souhait. Les intentions du réalisateur deviennent alors opaques, et les personnages, notamment ceux de Neal et d’Ivy , qu’il a méticuleusement mis en place dans la première partie disparaissent pratiquement de l’histoire pour ne plus laisser place qu’à la star, et d’une manière plus réduite, à Lucas Hedges qui se défend comme il peut.


Frappé par la toxicomanie au travers de proches, il est clair que Peter Hedges souhaitait apporter un témoignage, voire un hommage aux hommes et femmes piégés dans cet enfer, et peut-être surtout aux familles qui les soutiennent inconditionnellement tout en se méfiant d’eux comme de la peste. Mais son point de vue n’était pas suffisamment étayé, son scénario pas suffisamment robuste, et son film qui commençait d’une façon très prometteuse s’embourbe hélas dans une mélasse mélo et dénuée d’émotion vraie. Une telle émotion était autrement plus intense dans Keep the Lights On d’Ira Sachs qui traitait du même sujet. Il ne reste plus qu’à attendre et voir comment Félix van Groeningen, lui, s’en sortira avec My Beautiful Boy.


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Bea_Dls
6
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le 7 févr. 2019

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Bea Dls

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