Bienvenue à Suburbicon ! Là où tout fait faux, même le film !

Rares sont les moments où je n’arrive pas à voir autre chose à l’écran que des acteurs lisant leur script et des techniciens accomplissant leurs artifices formels… Eh bah là, avec ce « Bienvenue à Suburbicon », ce fut le cas de la première minute à la dernière ! Un vrai festival ! C’était limite si je n’entendais pas George Clooney en train d’expliquer sa démarche en même temps que je voyais l’intrigue se dérouler. Et franchement, à bien y réfléchir avec le recul, je crois même que l’un dans l’autre j’aurais encore préféré que George Clooney explique vraiment sa démarche en direct. Parce que bon, durant l’intégralité des trois premiers quarts d’heure, il fut pour moi impossible de comprendre où ce film voulait en venir. Après une amorce à la « Edward au mains d’argent », voilà que l’ami George entend commencer par une scène volontairement caricaturale qui vise à tourner en ridicule une population qui refuse d’accepter une famille noire dans leur quartier. Donc OK, visiblement l’ami Clooney entend surfer sur la vague du grotesque. Soit… Seulement voilà, dès la scène suivante, le film décide de basculer sur une toute autre intrigue en adoptant le ton d’un thriller froid qui cherche à imposer une atmosphère tendue (…enfin « tendue »… Disons pour être honnête qu’elle est aussi tendue que la peau du menton d’Edouard Balladur, c’est dire.). Alors bon, pourquoi pas… Sachons nous adapter : le thriller donc… Mais voilà qu’on enchaine dans la foulée sur encore autre chose ! On reste sur l’intrigue du thriller, mais le film en abandonne les codes pour basculer sur quelque-chose de plus mou, impersonnel et difficile à qualifier...


(Je pense ici à cette phase où la famille Lodge reçoit des condoléances de toute part. Aucun angle n’est offert pour savoir comment appréhender ces scènes, si bien que celles-ci tombent totalement à plat, se contentant simplement de transmettre l’information « la famille Lodge reçoit des condoléances » et rien de plus. Le seul moment où quelque-chose est tenté c’est quand le personnage de Gardner reçoit les condoléances de la part de son patron. Mais pour le coup, la chose est soudainement tournée en ridicule sans qu’on comprenne pourquoi ni comment on est sensé prendre la scène. C’est sorti comme ça, totalement ex nihilo. Ç’en devient un moment de cinéma très gênant.)


…Et en gros c’est comme ça pendant trois gros quarts d’heure donc : les scènes banales s’enchainent sans qu’on comprenne vraiment leur finalité ; la tension est tellement inexistante qu’il est impossible de savoir si c’est volontaire ou pas ; et des moments de grotesques tombent un peu comme ça, aléatoirement, et souvent au plus mauvais moment… C’est alors qu’au bout de trois quarts d’heure est donc survenue la révélation. Il a suffi d’une seule scène pour comprendre à la fois l’intrigue et en même temps l’ampleur du désastre...


(Je parle ici de ce moment où Rizzoli et son pote débarquent dans le bureau de Matt Damon).


Avec cette scène, la démarche de l’ami Clooney apparait au grand-jour et à son plus grand désavantage. Avec elle, on comprend qu’en fait, depuis le départ, ce gars essayait de faire un film qui soit à l’image de ceux des frères Coen (ils sont d'ailleurs tous deux crédités au scénario). Beau modèle j’en conviens, mais encore faut-il avoir compris comment ça se ficelait un film des frères Coen ! Tout d’abord – non – l’humour des Coen n’est pas basé sur le ridicule, il est basé sur l’absurde. C’est parce que les personnages accomplissent des actes absurdes ou parce qu’ils entretiennent des conversations absurdes qu’ils en deviennent drôles et ridicules. En soi, un personnage ridicule qui se contente de commettre des bourdes et des grimaces n’est pas suffisant pour faire un humour à la Coen. Or dans ce film, les touches d’humour ne se limitent qu’à ça. Et elles tombent souvent à plat parce que ces touches tombent toujours aux moments où il ne faut pas, notamment en plein milieu d’un moment où une tension est sensée monter. Parce que oui, en plus de ça, il faut qu’à côté de ce problème d’humour, il y ait un problème pour générer les tensions. Chez les Coen, une tension ne se construit pas toute seule. Elle va s’appuyer sur un conditionnement minutieux du spectateur qui doit se dire « je ne sais pas ce qu’il va se passer, mais je sens que ça va pas super bien se passer, et au vu de ce que disent les personnages, je peux même craindre que ça prenne une tournure inattendue, crue et dévastatrice pour l’intrigue ». Or, pour reprendre la première scène de tension de ce « Suburbicon », elle déboule juste après une scène toute guillerette, sans subtilité, et noyée par une musique pompière qui ne laisse aucune place à la tension. Rien n’est mis en place. Ni la manière de filmer la maison, ni l’habillage sonore, ni une mise en contexte préalable ne permet d’assimiler ça à une scène tendue. Du coup on regarde la scène sans savoir si ce qu’on nous présente doit être une source d’effroi, de tension ou pas. Et comme généralement on doit attendre la scène suivante (voire plus) pour comprendre a posteriori l’intérêt et le sens des scènes, tout ce qu’on observe à l’écran se prend par conséquent de manière dépassionnée, comme de la simple information et rien de plus… Alors du coup, quand j’ai compris dans la deuxième partie du film que Clooney comptait faire de ce « Suburbicon » une sorte de « Fargo » dans les suburbs d’ « Edward aux mains d’argent », j’ai juste ma mâchoire qui m’est tombé sur les cuisses. Mais enfin George ! On ne peut pas faire un « Fargo » avec une musique aussi omniprésente, pompière et dégueulasse ! On ne peut pas faire un « Fargo » quand on est infoutu de savoir choisir un genre et de s’y tenir ! On ne peut pas faire un « Fargo » quand on ne sait pas faire identifier au spectateur les enjeux d’une scène ! On ne peut pas faire un « Fargo » quand on pose, qu’on abandonne et qu’on reprend de manière quasiment aléatoire les éléments d’intrigue qui sont sensés constituer l’histoire !


(« Ah bah oui tiens ! Cette histoire de communauté qui n’accepte pas les noirs ! C’est vrai qu’on les a bien oublié ceux là ! Allez ! Reparlons-en maintenant parce que ça se présente ! » Et que dire de l’oncle Mitch qu’on voudrait nous faire percevoir comme un personnage essentiel alors qu’il fait des passages aussi fins que des rondelles de salami ?! Ah et puis oui au fait… Suburbicon et sa communauté… En fait, pourquoi on en parle ? Le film se passerait dans n’importe quelle autre ville ça ne changerait rien à l’histoire dans l’espace ici désigné n’a finalement que peu d’importance !)


Rolalah mais c’est incroyable ! Non mais ce film, c’est juste le festival du flop ! Rien ne marche parce que tout est toujours fait dans le désordre, soit avec la mauvaise musique ou le mauvais montage, soit sans les éléments explicatifs nécessaires, ou soit souvent les deux à la fois… Et quand en plus on constate que l’ami Clooney a cherché en plus de cela à caser par-dessus cet ensemble bancal de bons gros messages politicards en mode « les racistes ils sont quand même vraiment pas malins » ou bien encore « on se croit tous bien sous tout rapport dans nos petits paradis factices mais en fait non ! » mais pour moi c’est juste la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Non mais oh ! Une telle accumulation de lourdeurs, d’erreurs et de fautes de goût, ça relève carrément du challenge ! En tout cas, bravo à George Clooney, parce que j’ai beau ne pas savoir qu’elle était son pari, mais une chose est sûre : c’est gagné ! We did it ! Se louper à ce point sur tous les champs possibles offerts par le cinéma, ça au moins le mérite d’être du grand art…

Créée

le 13 déc. 2017

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