Après avoir fait sa sortie en VOD sur Hulu, The United States vs. Billie Holiday débarque enfin dans les salles helvétiques pour nous conter l’histoire de celle que Lester Young surnommait «Lady Day» et la censure qui frappera sa célèbre chanson «Strange Fruits».


À la fin des années 30 au Café Society de New York, rien ne laissait présager de la foudre à venir. Le jazz connaît pourtant bien les lieux, mais ce soir Billie Holiday (Andra Day) entame une invocation lyrique au parfum amer, «Strange Fruits» exhume les horreurs du Sud des États-Unis. Dès lors, la première icône de la lutte contre la ségrégation ne cessera d’être suivie et piégée par un certain Harry J. Anslinger (Garrett Hedlund) du bureau des narcotiques. Quand la justice couvre la censure et infiltre son cercle privé, c’est toute une administration d'État qui entend bien faire taire Billie Holiday.


Au nez et à la barbe de l’histoire blanche, Billie Holiday chantera à la fin des années 30 un air qui deviendra l’hymne du XXème siècle. Intitulé «Strange Fruits», le prélude et l’épilogue du film cèlent la contemporanéité intacte de ce poème écrit en 1937 par un certain Abel Meeropol. Basé sur le roman «Chasing the Scream: The First and Last Days of the War on Drugs» de l’auteur Johann Hari, le scénario adapté de Suzan-Lori Parks oscille entre un biopic fictionnel et le récit d’une guerre illégitime. Elle opposait Billie Holiday à une autorité étatique qui se servira de sa toxicomanie pour faire taire ses chansons et la rumeur des lynchages. Nouveau long-métrage du cinéaste Lee Daniels (The Butler), The United States vs. Billie Holiday romance la vie tardive de la chanteuse alors qu’elle se retrouve dans le viseur des agents fédéraux.


En pleine administration Roosevelt et tandis que le Klan embrase encore le Sud, c’est la chanson «Strange Fruits» que l’on accuse de mettre le feu aux poudres. Billie Holiday est cette femme noire, queer et addict, d’aucuns la prennent pour une fauteuse de trouble. Pour avoir transgressé les mœurs et sa dévotion face à l’histoire, elle deviendra la marraine du mouvement des droits civiques. La chanteuse californienne Andra Day (Golden Globes de la meilleure actrice et nommée aux Oscars) prête son talent à l’icône et investit son héritage d’une énergie époustouflante. Parce que c’était Billie, parce que c’est Andra… pour son sujet et celle qui l’incarne, The United States vs. Billie Holiday est de ces films que l’on aurait souhaité fabuleux et pourtant, Lee Daniels nous scie les pattes à l’orée du firmament. Alors essayons d’y voir plus clair.


Ici, les personnages historiques comme Harry J. Anslinger (un Garrett Hedlund qui fait gentiment le job) ou encore Tallulah Bankhead (furtive Natasha Lyonne), célèbre actrice de théâtre connue pour sa relation avec Billie, répondent à ceux créés pour les besoins du roman initial. Et les charmes de The United States vs. Billie Holiday ne sont parfois qu’un mirage et pêchent justement de ce travail romancé, comme par exemple le personnage aux yeux perçants de Trevante Rhodes dans le rôle de l’agent fédéral et amant sous couverture, l’irrésistible Miss Lawrence, ou même cette interview qui jalonne le métrage. The United States vs. Billie Holiday picore çà et là, et nous voilà coupable d’avoir vécu un songe. «Mais Pez c’est Lester Young du coup? - Ouais et apparemment Asslinger il a même été décoré par Kennedy dans les années 60? - Ah le bat!#$# - Jt’e jure, c’est ouf! - Par contre le gars de Moonlight apparemment, c'est du flan, enfin il était sous couverture, tu vois, mais genre pas à se piquer le bras avec Billie...».


Alors oui, quand le mythe supplante le film, la fiction pourrait servir à éviter les écueils d’une étude trop frontale. One Night in Miami nous prouvait d’ailleurs en janvier la magie de ces paraboles inspirées du réel, mais serait-elle ici trop proche du classique biopic? De ne savoir où danser, on s’y perd, pourtant c’est beau. Billie Holiday n’a d’ailleurs jamais manqué d’être représentée avec brio, rappelons Diana Rose en 1972, dans sa performance nommée, elle aussi, aux Oscars. Pour nous rendre Billie, Lee Daniels ne ménagera pas ses efforts et ses inspirations. Son métrage se meut et respire comme un cœur qui bat la chamade (ses muets, son noir et blanc, ses furieuses accélérations et son 4:3) et balaye la pellicule d’une énergie au diapason de son personnage. Tour à tour, The United States vs. Billie Holiday mêle le sublime au moins lisible, mais il reste Andra Day qui ne cessera d’y briller!


Critique à retrouver sur Cineman.ch

guardianalfred
7
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le 4 juil. 2021

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