Avec Bird People, Pascale Ferran offre là un film contemporain touchant mais imparfait, affublé de quelques longueurs et de quelques naïvetés un peu désuètes sur cette société de consommation libéralisante et la technologie qui guide nos pas quotidiens. Derrière ces effets de style un peu ringard, notamment les voix off un poil grotesque, se cache un film perplexe et calme comme de l’eau de roche, qui trimbale ses valises à travers un hôtel vers l’aéroport de Roissy, lieu de pèlerinage de beaucoup de travailleurs et qui verra son champ narratif s’envoler vers des contrées rêveuses et presque surnaturelles. Le début du film commence comme le faisait un peu Her de Spike Jonze, en pointant du doigt ces hommes et femmes anonymes surconnectés dans un train ou un bus. Une masse bondée de personnes toutes plus solitaires les unes des autres, où le contact humain est quasiment absent. Le propos du film est visible au premier regard, tout en restant imaginatif.
Puis derrière cette collectivité en ébullition, la réalisatrice va s’intéresser aux individualités, à deux personnes en particulier. Leur point commun : cet hôtel, lieu de passage, sans âme, ni attache, animé par une mise en scène assez fine parfaitement bien découpée et qui trouvera quelques sommets de talents visuels avec les scènes aériennes de sa seconde partie. Bird people met en scène un cadre américain qui voyage pour affaire et qui doit prochainement prendre un vol pour Dubaï. Audrey, elle, est une étudiante ayant arrêtée ses études, et qui se consacre à son petit boulot de femmes de chambres. Audrey et Gary ne se côtoient pas, ils se croisent sans réellement se voir, mais ils sont atteints par le même sentiment, celui de cette solitude « occidentale ». Bird People s’avère très épuré dans ses faits et gestes, minimaliste dans ses intentions, laisse divaguer sa caméra au plus près du pain quotidien de des deux protagonistes. Ils ont la même volonté, vouloir quitter leurs obligations, changer d’air.
Pascale Ferran parle de cette société accablée par le travail, dont les journées se suivent et se ressemblent, sans qu’il puisse exister un possible affranchissement personnel. Il y a un léger aspect arriéré et cliché à cette description du monde de l’entreprise (la réunion avec un traducteur, le chef). Ce n’est pas gênant mais ça fissure un peu la qualité des intentions thématique d’une œuvre qui ne manque pas de charme. Bird People se déroule sur un laps de temps réduit, une nuit ou deux. Sans réelles explications précises, Gary va fuir ses responsabilités et ne va pas prendre son vol pour tout quitter (travail, famille) pour prendre un nouveau départ alors qu’Audrey va prendre son envol au sens propre comme au figuré dans une partie surnaturelle (ou rêvée). C’est ce qu’il y a de plus beaux dans son film, intériorisant au maximum l’indicible dépression sourde qui s’immisce en eux jusqu’au moment où ça explose comme lors de cette longue scène de rupture (par skype) pleine de rancune et miroir de cette société culpabilisante des conséquences de nos choix sur les autres.
Un homme, une femme plus jeune, la solitude nocturne, l’incompréhension, ça rappelle un peu Lost in Translation même si les deux films sont diamétralement opposés. Pascale Ferran, à la moitié de son film, change d’horizon, surnaturelle, « animale ». Au premier regard, on reste un peu perplexe, puis cette sensation de liberté de ton et de narration dégage une poésie salutaire sensitive qui procure beaucoup de plaisir. Certaines scènes aériennes font vaguement penser à celles d’Enter the void de Gaspar Noé. A ce moment, on divague, on vole, on surprend quelques discussions, Pascale Ferran ne surécrit pas ses personnages à défaut de trop montrer ses intentions. La petite étincelle du film est là devant nos yeux, le charme opère, c’est cette identification (personnelle) à ses deux protagonistes. C’est terriblement commun, ces deux personnages sont humains, défaillants comme tout un chacun, silencieusement en souffrance pour au final lever les yeux et retrouver le simple plaisir d'une main tendue.