Et croire qu'avant nous, tout ça n'existait pas

Je ne sais pas quand ils sont arrivés mais ça fait un moment qu'ils habitent dans ma tête. Ils sont bien installés, chauffage au sol, lits superposés et bières fraîches., à part le manque de gonzesses, j'ai jamais eu de plaintes. La plupart du temps tout se passe comme un simulacre de démocratie où moi, je ne perds jamais la face. Mais pas toujours et c'est ça qui est beau.
Mon docteur m'a dit que ça nous fait du bien d'aller au cinéma, je cite, « ce mirage miraculeux qui résonne en nos cœurs, éclatant et fulgurant, pour nous terrasser » ne peut que favoriser un équilibre propice à un esprit sain. Mon docteur est un peu poète.


On sait qu'on avait vécu ce film, en salle, comme une plongée dans les méandres d'un esprit squatté et malade, au bord du précipice, et ça nous avait parlé. Fichtrement.
Ça ressemblait étrangement pourtant à un goût qu'on connaissait déjà, comme si l'élixir avait souvent perlé sur nos langues, et la beauté de ces images incandescentes en ravivait le feu.


On s'était dit que, comme toujours, quand le cinéma caressait les cabossés, ça nous hérissait les poils et on avait adoré. Évidemment.
Mais ça pouvait pas masquer l'évidence, on se demandait surtout comment ce mec avait réussi à faire un film sur nous, sans nous rencontrer, sans même nous parler ne serait-ce qu'une fois. C'était pas possible, qui étions-nous pour penser être le sujet principal de ce film oscarisable et oscarisé depuis. Quelle prétention, on était sûrement conditionnés par les reflets familiers qu'on avait décelés au détour d'une scène ou d'une ligne de dialogue, qui claque comme quelque chose de commun, avec ce goût lancinant qui ressemble à s'y méprendre au Déjà-vu.
Comme si c'était une variation de ce qui nous arrivait à nous, toutes proportions gardées, car nous somme moins chauve que Michael Keaton.


Une bouffée de tristesse qui colle aux basques même si t'es parisien, alimentée certainement par ce nuage de mélancolie, tu sais, ce moment où le Général se rend compte que la bataille est perdue et qu'il va prendre sur la gueule comme un vulgaire troufion, nous surplombait au sortir de la séance, sans jamais quitter le dessus de notre tête, voué qu'il était à être notre nouveau ciel, éternel, nous retrouvions nos pénates tracassés.
Fracassés, malaxés, percés à jour, nous qui avions réussi à passer inaperçus jusqu'à aujourd'hui, nous étions découverts, jetés en pâture aux yeux du monde, ils n'allaient pas tarder à nous pointer du doigt comme un type en slip, perdu en plein Time Square.


Le film nous avait un peu traumatisés donc...


L'idée du théâtre, déjà, pour cristalliser les nœuds de l'esprit est lumineuse. Tout le film n'est qu'une visite du coup et on aime bien les voyages. Les couloirs en ramifications, les acteurs, la scène sous la lumière, les raisons et les rêves qui s'entrechoquent dans l'ombre, les êtres qui ricochent, qui dansent sur un air de jazz, où on improvise la vie alors que tout est millimétré, et les fantasmes denses jusqu'à l'ivresse.
Alors comme ça nous n'étions pas seuls. Le labyrinthe de plans-séquences, cette poudre aux yeux, cette façade rutilante ne masquait pas le fait (les fissures) qu'un type avait eu accès au saint des saints et se permettait, bien aidé par ce culot que savent cultiver les hispaniques, de faire un décalque de nos tourments à projeter sur écrans pour que les gens puissent se repaître. Et nous foutre une balle dans le pif, morts ou vifs, pas de risques, le Phénix renaît toujours de ses cendres.
Le débat sur la forme aura mis le fond au tapis, dans l'ombre, meurtri, il se touche.


Il y a une question dans Birdman qui demande : « Sommes-nous condamnés à être réduits à l'image qu'on renvoie ? » Et ça devrait suffire aux plus bégueules.


Les nuits suivantes, j'ai rêvé de rien. Paraît que quand t'arrêtes le cannabis, les rêves reviennent à la charge. Même les plus affreux sont de retour.


Qu'il soit moineau, vautour, pinçon ou dans mon cas, aigle Royal, on a tous un Birdman en nous. Voire plusieurs, des fois.
Ces voix qui nous hissent ou nous noient, parfois dans le même élan. Ces voix qui nous poussent ou nous traînent, qui nous font dessiner des cibles inaccessibles encore, ou des rêves en forme de soleil.
Appelle-les fée, ange-gardien ou démon, ici, ils l'ont appelé Birdman.


Nous, ça nous va.

DjeeVanCleef
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le 10 oct. 2015

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