À la simple évocation du film "Suicide Squad" nous revient en mémoire cet aberrant mélange de rage et de gêne ressenti devant ce qui un des pires naufrages des récentes adaptations DC... Toutefois, dans ce marécage affligeant, surnageait une bouée à laquelle on se raccrochait désespérément pour arriver au terme du calvaire : Harley Quinn. David Ayer avait beau passer à côté du potentiel autour de sa relation démente avec le Joker, son interprète Margot Robbie parvenait, elle, à briller dans la folie de son personnage. Il a suffi de voir l'overdose de spectatrices déguisées en Harley Quinn qui en a découlé pour comprendre à quel point l'actrice avait réussi son pari d'iconiser la compagne du Joker dans l'imaginaire collectif. Seulement, malgré cette petite victoire, l'image de son Harley Quinn restait associée à un film terriblement médiocre et il fallait absolument corriger le tir afin de lui rendre justice. Dans le lot plus ou moins pertinents de projets qui auront suivi afin d'exploiter l'aura du personnage auprès du public (et alors que la barque DCEU tanguait dans tous les sens possibles), un seul a survécu et s'est concrétisé pour arriver sur nos écrans aujourd'hui : "Birds of Prey et la fantabuleuse histoire de Harley Quinn".
Le fait que celui-ci ait été mûri de longue date, notamment par Margot Robbie désormais productrice (pas folle, la guêpe !), joue à la fois pour et contre lui. Pour car cela peut laisser espérer que la Warner a appris des erreurs de "Suicide Squad" et a préféré prendre son temps pour livrer un film bien plus viable. Mais également contre car "Birds of Prey" apparaît finalement comme le dernier rejeton de la pire période du DCEU qu'il soit, ses différentes bandes-annonces et affiches à l'esthétique flashy et emballées sur un ton "déjanté à tout prix" ne jouant clairement plus en sa faveur.
L'espoir d'un film mettant vraiment en valeur la Harley Quinn de Margot Robbie reste présent mais il est bien difficile d'éluder le passif dont il est issu, d'autant plus que "Birds of Prey" débarque avec l'opportunisme non dissimulé de claironner haut et fort sa dimension girl power en écho à la vague féministe du moment...


Sur ce dernier point, on ne s'était pas trompé, le film ne fait clairement pas dans la dentelle et dote toutes ses héroïnes de diverses influences masculines néfastes dont elles doivent s'émanciper en choisissant, de préférence, la voie la plus expéditive. C'est évidemment le cas de Harley Quinn que l'on retrouve en solo, sans son Monsieur J. chéri après les mésaventures de "Suicide Squad". N'éludant pas une forme de continuité, le film ne renie pas son prédécesseur mais il coupe d'entrée les ponts avec lui en détruisant un lieu fondateur de la dépendance amoureuse de Harley envers son clown favori. Par cet acte symbolique venant conclure une très amusante introduction, le message est clair : la blonde déjantée doit désormais trouver sa propre voie et sortir de l'ombre envahissante du Joker (et de "Suicide Squad" surtout).
En se concentrant principalement sur ce personnage, "Birds of Prey" en épouse totalement la dimension cartoonesque, le film se calque en permanence sur la personnalité imprévisible de Harley à toutes les échelles possibles. Esthétiquement, Cathy Yan s'en donne à cœur joie et cette parenthèse du DCEU aussi fantasque que colorée donne lieu à un univers excentrique offrant une impressionnante variété de vignettes à travers la galerie de personnages y évoluant ou les différentes scènes d'action. Tout n'est bien entendu pas du meilleur goût (pas mal de choses en fait, le passage musical en est le parfait exemple) mais, vu le flot de séquences proposé, il y en a toujours au moins une qui sort du lot pour assurer le spectacle ou les sourires via une Harley Quinn bien plus fidèle à ses versions dessinées (les premiers instants de son célibat nous renvoie immédiatement à l'esprit du personnage dans la série animée notamment). Ce sera plus particulièrement le cas des sympathiques bastons (orchestrées en partie par Chad "John Wick" Stahelski dans des reshoots) qui, sans révolutionner le genre, seront dans le pire des cas toujours efficaces et en adéquation avec la personnalité borderline de toutes ces protagonistes féminines dans leur unité en construction (le final ne pourra qu'emporter l'adhésion de ce côté). D'ailleurs, dans le sillage de la prédominante Harley, les nouvelles versions de Huntress (Mary Elizabeth Winstead, une évidence d'action-girl) et de Black Canary (Jurnee Smollett-Bell) sauront vraiment tirer leur épingle du jeu pour exister et avoir notre sympathie malgré des backgrounds pas follement originaux.
Ainsi, en termes de divertissement, "Birds of Prey" a tout de même des arguments à faire prévaloir mais cela suffit-il pour autant à en faire un bon film ?


On sera hélas beaucoup moins affirmatif car "Birds of Prey" paraît souvent beaucoup trop long pour pas grand chose. Comme pris au piège de sa narration faussement alambiquée (en réponse à l'esprit chaotique de Harley Quinn) et de ses voix-off voulant à tout prix nous souligner le caractère soi-disant formidable ou inédit de ce qui se passe à l'écran (ben non, ça ne l'est pas tant que ça), le film fait l'effet d'une énorme baudruche que l'on ne cesse de gonfler artificiellement autour d'une histoire ultra-basique de diamant et de vengeance avec en première ligne la lutte entre ces filles et le vilain Black Mask. Sans ses va-et-vient temporels constants, le scénario de "Birds of Prey" se réduit en réalité à la simple formation d'une énième équipe de bras cassés contre un énième méchant... Pas si foufou que ça, n'est-ce pas ?
Et ce n'est pas le problème le plus mince, le long-métrage en rappelle fortement un autre et sa suite : "Deadpool" ! Absolument tous les outils utilisés pour essayer de traduire la nature déséquilibrée de Harley Quinn renvoient invariablement à ceux utilisés par ce dingo de Wade Wilson dans ses oeuvres (elle brise le quatrième mur comme lui en plus) ! On lui collera même une gamine dans les pattes pour l'humaniser à l'extrême comme dans "Deadpool 2". Déjà que les fameuses Birds of Prey sont presque écrasées par Harley Quinn, celle-ci succombe elle-même sous le poids du modèle qu'elle essaye de copier à tout prix et en est réduite à un rôle de simili-Deadpool-girl.
Enfin, si on a pu saluer la qualité de quelques personnages annexes, force est de constater qu'ils ne sont pas tous logés à la même enseigne. Oscillant entre le ridicule et la lourdinguerie, les relectures de la policière Montoya, de Roman Sionis (heureusement qu'Ewan McGregor met à un moment le fameux masque pour faire taire son insupportable numéro de cabotinage) ou de Victor Zsasz (pauvre Chris Messina, on a de la peine de le voir utilisé comme ça) seront également responsables de nombreux passages à vide dans un film dont le rythme accéléré tourne lui aussi à l'illusion...


Bon, bien sûr, "Birds of Prey" est supérieur en de nombreux points au cataclysme qu'a pu représenter "Suicide Squad", le film de Cathy Yan n'est pas dénué de qualités et on s'y amuse bien plus... mais à quoi bon dans le fond puisque tout y sonne creux et paraît déjà avoir été utilisé ailleurs ? Si quelqu'un avait l'idée de mettre une aiguille dans la baudruche "Birds of Prey", ce qu'il en resterait serait plus consistant que le cadavre décomposé de "Suicide Squad", c'est certain, mais ça se résumerait une nouvelle fois à peu de choses.

RedArrow
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le 12 févr. 2020

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