C’est toujours un peu gênant quand on pense avant d’entrer dans la salle qu’on va être convaincu par le film qu’on vient voir, qu’on s’apprête à prendre une claque, et qu’on sent la déception venir nous taper sur l’épaule rapidement alors qu’on ne l’avait pas invitée à venir.


Surtout quand le sujet était en béton armé: un flic noir qui a réussi à obtenir sa carte de membre officiel du ku Klux Klan, ça a de quoi rendre curieux.
Encore plus quand on sait que le réalisateur, un certain Spike Lee, a choisi de donner à son film le ton d’une pseudo comédie de flics.


Le problème, c’est qu’on a du mal à savoir sur quel pied danser: on sent la volonté de créer un ancrage historique, d’actualiser le discours tout en créant un divertissement. Le spectateur a du mal à savoir ce qu’il doit digérer en premier.


Certes chaque point est louable, et on arrive à être charmé à plusieurs reprises par le film, à trouver le propos bien amené, à apprécier quelques traits de réalisation, quelques dialogues et des acteurs attachants.
Mais ces éclairs ne sont pas assez forts pour suffire à illuminer l’intégralité du long métrage. Il reste à côté beaucoup de choses oubliables.


C’est comme si toutes les bonnes idées n’avaient pas pu être correctement agencées pour rendre le tout cohérent et fluide.


On aime suivre notre sympathique héros, on aimerait partager plus de moments avec une équipe de flics dont les échanges et les fous rires nous donnent envie de les rejoindre, on aime les moments de tension, on est révoltés à plusieurs reprises devant la bêtise et la méchanceté basse des hommes du Klan, on sent passer à plusieurs reprises les piques et références à l’Amérique d’aujourd’hui, on admire quelques plans ça et là.


Mais le tout est décevant: ça traîne sans qu’on identifie ce qui manque, on est souvent à la limite de l’ennui et de l’indifférence alors qu’au contraire nos sens devraient être en éveil permanent, notre conscience devrait être sollicitée. A plusieurs reprises, on a l’impression que le message arrive avec ses gros sabots, on nous prémâché le travail, ce qui tombe assez mal puisque c’était pile le jour où on voulait bien bosser un peu.


Et puis au milieu de cette semi torpeur, il suffit qu’on arrive au bout de l’histoire pour qu’un basculement net vienne ponctuer la série de clins d’oeils qu’avait disséminée le film: nous voilà devant l’actualité immédiate, nous voilà devant l’horreur, celle qu’on ne peut nier en se disant que “ça fait partie de l’histoire”.
Le message qui tambourinait avec ses sabots depuis le début est devant nous, il se tient là, on ne peut plus l’éviter: soit on le renie complètement parce que c’est bon on a compris, soit on finit par céder et on sort de la salle pantelant.
D’un coup, on se rend compte que la torpeur qui a précédé renvoie peut-être à celle qu’on a tendance à laisser gagner du terrain sur des sujets qui méritent pourtant toute notre attention.
On aimerait envoyer ce film là tout de suite maintenant à toutes les écoles du monde pour que tous subissent le même électrochoc que nous, on aimerait que le cinéma permette à tous de ressentir les mêmes choses.
Et puis on se souvient que dans la salle il n’y a probablement que des personnes déjà sensibles au propos avant de commencer, que c’est plus facile de prêcher des convaincus que l’inverse, et qu’il y a peu de chances pour que ce film touche d’autres personnes que celles qui étaient déjà concernées ou intéressées par le sujet.


On a fait le tour: on arrivait déjà sûr d’aimer le film, il nous a déçu, mais il a réussi à terminer par une pirouette qui nous a rappelé combien on avait besoin de se tenir éveillé.
Impossible de dissocier le film de son propos, et en même temps c’est peut être justement la volonté trop appuyée de vouloir passer un message qui rend l’ensemble si maladroit et bancal.
Curieuse expérience que cette comédie douce amère, sur le fond comme sur la forme.

iori
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le 2 sept. 2018

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