Ah ça c’est sûr c’est beau…
C’est très beau même…
Mieux encore, tous les plans sont de véritables chefs d’œuvre de composition picturale.
Rien n’est à jeter. Tous sont remarquablement sophistiqués. La photographie est sublime. Et quand je dis cela, je le dis sans ironie aucune : je le pense vraiment…


Seulement voilà, tout ça au service de quoi ? …Tout ça mu par quoi ?
…Rah c’est là que ce film devient désespérément triste.
Pour le coup, Denis Villeneuve reste Denis Villeneuve.
Déjà, après son « Premier contact » j’avais dit de lui qu’il savait être un excellent cinéaste d’atmosphère mais un piètre narrateur incapable de mener une dynamique ou un propos convenablement.
Eh bien là, avec ce « Blade Runner 2049 », ça se vérifie tragiquement.


Ce film a un don incroyable pour fuir tout esprit de dynamique.
Il pose plein d’éléments qui, séparément, sont jolis à regarder, allant même parfois jusqu’à générer du sens. Seulement voilà, mis les uns à la suite des autres, ils peinent à entrer en résonance entre eux pour qu’enfin se dégage de tout ça une dynamique d’ensemble.
Ainsi les scènes défilent-elles vite comme les pages d’un porte-folio sans rien pour venir les animer.


Alors certes, on pourra picorer à droite et à gauche.
Ici il y aura un beau plan d’une campagne totalement artificialisée.
Là-bas il y aura une belle illustration du principe d’humain augmenté, questionnant ainsi visuellement l’emplacement de la frontière avec la machine.
Et enfin, encore à un autre endroit, on pourra voir un répliquant qui se questionne sur son rapport au réel, notamment en entretenant une relation amoureuse avec un programme informatique spécialement conçu pour ça…


Mais bon, picorer quelques éléments fragmentés, sur 2h40 de film, c’est quand même bien peu au fond !
L’avantage du temps long, c’est qu’il permet de développer les choses, pas simplement de les accumuler. Là, rien n’est développé.
Dommage parce que ce n’était pas comme si ce n’était pas possible.
Par exemple il aurait été intéressant de voir comment la relation entre K et son intelligence artificielle évolue dans le temps, pour questionner notamment son rapport au réel, son rapport au physique…
Mais non, on va rester sur une lecture très superficielle de la chose, et surtout absolument pas évolutive. A part à un moment où la question du corps physique est posée, le rapport entre les deux personnages reste stable.


Autre champ de possibilités : le film pose dès le départ du film la manière dont les Répliquants sont perçus par la faune humaine.
Il aurait été possible de questionner du coup la frontière entre l’humain et l’artéfact en faisant évoluer cette posture. Mais non.
A dire vrai la question est à peine traitée et se réduit finalement à la relation entre K et sa chef « Madame » ; relation qui n’évoluera pas significativement tout le long du film.
On aurait pu aussi être en droit d’attendre que les personnages de Wallace et de Luv apportent aussi leur lot d’exploration en termes de questionnements, sensations, perceptions…
Mais là encore non. Les personnages et les lieux propres à l’entreprise Wallace reviennent à plusieurs reprises, mais à chaque fois pour illustrer une même situation et un même discours, pour peu qu’on sache percevoir un discours dans les digressions aléatoires lancées par ce philosophe synthétique…


En somme, on saura trouver pas mal de parcelles d’intrigues à l’état inerte dans ce film, mais jamais vraiment de fil de vie qui va permettre de mettre tout ça en branle.
Alors certes, il y a bien cette histoire de...


bébé de répliquant


...qui peut être perçue comme le fameux fil central de l’intrigue.
Mais pour le coup, ce fil est tellement tenu que des fois on ne voit plus. Il faut quand même attendre 1h40 pour que cet arc narratif déclenche chez le personnage principal un questionnement sur sa nature d’individu !


(Parce que oui j’ai vérifié. Entre le moment où K découvre le coffre avec le corps et le moment où cette découverte l’amène à se questionner sur sa nature, il a fallu 1h40. Véridique. Tout le reste n’est qu’étapes superflues d’enquête, le tout prétexte à d’interminables scènes d’exposition de personnages qui n’en finissent pas.)


...Alors après j’en entends déjà qui vont tout de suite venir à la rescousse de Denis Villeneuve sur ce point, vantant notamment ce choix courageux d’un tempo lent sur un film à gros budget.
Et si autant sur ce plan là ce n’est pas moi qui vais leur donner tort, autant par contre il ne faudra pas compter sur moi pour défendre cet usage là du tempo lent !
Un tempo lent a du sens quand celui-ci sert ta démarche.
Là, en quoi ces 2h40 se justifient-elles ? A la fin du film, elles n’ont pas servies à grand-chose.
Rien n’a bougé. Rien n’a vraiment été dit. Et surtout rien n’a été questionné.


Et c’est là que, moi, j’en veux à Villeneuve.
Ces 2h40 elles ne sont justifiées que par une chose : caser tous les plans qui ont été imaginés pour illustrer cet univers là. Là encore, Villeneuve pense son atmosphère seulement au termes de décors, de visuels, de musiques, et éventuellement de moments illustratifs, mais jamais en termes d’histoire humaine, de singularité de vie, de questionnements…


Et je comprends pourquoi il fait ça.
Il suffit de voir ses derniers films pour le comprendre.
Soit Villeneuve ne sait que produire de la caricature conventionnelle en termes de personnages et d’intrigues, comme ce fut le cas dans « Prisoners » ou « Sicario », soit il se risque à produire quelque-chose de plus singulier mais dans ce cas là il s’emmêle totalement les pinceaux dans sa narration et sa cohérence, comme ce fut le cas pour son dernier « Arrival ».
Là, pour ce « Blade Runner 2049 », Villeneuve a donc décidé d’opter pour la fuite du problème.
Pas d’histoire, pas de problème. Moins on en dit, moins on se plante.


Alors d’une certaine manière, c’est presque le choix le plus malin qu’il pouvait prendre parce qu’effectivement rien ne choque dans ce film (…à part peut-être Harrison Ford à qui l’âge n’a pas fait que des cadeaux, notamment sur son jeu d’acteur), mais d’un autre côté, le contre-coup de ce choix c'est que le film en devient aussi incroyablement creux et superficiel.


En gros, à faire un bilan des trois arcs narratifs, tous ne se résument au final qu’à peau de chagrin.
L’arc principal est sûrement celui qui, en fin de compte, révèle le plus à lui tout seul toutes les limites de ce film.
Il suffit juste de mettre en regard l’amorce et la conclusion de cet arc pour comprendre l’ampleur de la vacuité du truc.


Au début, en trouvant le corps, on comprend qu’un répliquant a été capable de donner naissance à un bébé, lequel menace l’équilibre de ce monde. A la fin, bah on a juste trouvé le bébé et… c’est tout.
Certes, au passage, un groupe de répliquants en a profité pour rappeler à quel point cela aller changer le monde (au cas où si on avait dormi lors de la première heure et qu’on avait pas saisi la seule information – d’ailleurs vague – de cet arc narratif.), mais en somme, il s’est passé quoi dans cet arc ? Bah rien…
« Alors si, me diront certains, à un moment K s’est questionné sur sa nature de répliquant / humain quand il s’est dit que cela pouvait être lui le fameux bébé. »
Oui c’est vrai… Au bout d’une heure et quarante minutes, je le rappelle.
Et puis pour quelles conséquences franchement ? A part lui faire pousser un cri de rage puis lui faire perdre une partie de Kamoulox, qu’est-ce que ça change à son comportement ? Rien.


Même chose pour l’arc Wallace / Luv.


Au départ on nous dit : « Luv a un prénom, c’est qu’elle doit être particulière. » Or que découvre-t-on à la fin ? Bah rien. En fait on ne sait pas ce qui fait d’elle un répliquant particulier. D’ailleurs, dans son comportement, elle n’a rien de particulier. Ou plutôt si, en gros on nous montre que sa particularité c’est de se sentir particulière justement parce qu’on lui avait fait comprendre qu’elle l’était. Alors je ne redis pas : c’est intéressant (et je dis ça sans ironie aucune), mais encore une fois : 2h40 pour juste aboutir à ça et rien de plus ?


...
En fin de compte, l’arc narratif le plus intéressant était peut-être celui qui liait K à Joi.
C’est peut-être même d’ailleurs le seul arc qui est vraiment parvenu à se singulariser du « Blade Runner » original, puisque là se pose la question d’un amour « immatériel » pour l’autre.
Du coup, quel blase de constater en fin de compte que non seulement Villeneuve traite clairement cet arc en périphérie de l’intrigue, mais qu’en plus il se limite à un simple ersatz de « Her. »
Pour le coup, quiconque a déjà vu le film de Spike Jonze ne peut que pleurer de misère en voyant à quel point ce traitement de la question est ici pauvre et totalement superficiel.
Et qu’au final ce soient ces mots là, « pauvre » et « superficiel » qui me viennent le plus régulièrement à l’esprit pour parler de ce « Blade Runner 2049 » moi je trouve ça plus que blasant ; je trouve ça désespérant.


Et c’est d’autant plus triste qu’au milieu de toute cette mélasse sans âme, on peut parfois tomber sur quelques micro-moments qui sont de véritables bijoux de forme et de fond.
Moi je pense notamment à trois scènes :


la première étant la naissance d’un répliquant sorti d’un emballage sous-vide – très signifiante et esthétiquement sublime (dommage pour le coup que le propos qui suive soit un enchainement de banalités sans véritable finalité discursive…) ; la seconde est cette errance du personnage de K au milieu de statues féminines géantes des ruines de Las Vegas, comme autant de vestiges d’une période de jouissance mais aussi d’excès ; la troisième enfin est cette bagarre dans ce cabaret animé parfois d’hologrammes d’icônes pop révolues apparaissant succinctement comme autant de fantômes d’une humanité déchue.
Trois scènes, trois claques. Vraiment…


Mais bon, loin de me réconforter, le fait de savoir que quelques perles soient noyées au milieu de cet univers minéral sans âme, moi ça renforce davantage mon désarroi que ça ne l’atténue.


Ralalah… Mais quelle tragédie que cette période mes amis !
Aujourd’hui, le grand spectacle doit donc se réduire soit à un déluge numérisé qui raconte n’importe quoi, soit à des claques d’esthètes comme celle-ci mais qui au final ne racontent rien.
Le cinéma à grand spectacle est donc à ce point privé de pensée, de regard, de propos, de discours ?…
Ah mais c’est triste.
Blasant.


Pire, c’est quand même très inquiétant…

Créée

le 15 oct. 2017

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