Lors de l'annonce d'une suite à Blade Runner, j'étais très sceptique pour ne pas dire au bord de la fin de ma vie. Ce classique de la science-fiction est un de mes films préférés, mais surtout celui qui m'a fait aimer le cinéma. Puis dès que fût dévoilé le nom de son réalisateur, j'ai retrouvé un peu de ma foi en l'humanité.


Dès la première scène, la mise en scène de Denis Villeneuve me procure des frissons. Est-ce dû au plaisir de me retrouver dans cet univers, à l'immensité des paysages arides dans lequel un véhicule à l'esthétisme identique à celui de Rick Deckard fait son apparition où la musique assourdissante de Hans Zimmer et Benjamin Wallfish accentuant le sentiment d'être devant une oeuvre de science-fiction majeure. Surement un peu tout cela à la fois, il ne me reste plus qu'à me laisser porté durant 2h43 pour confirmer ou infirmer ce sentiment.


Cet introduction met le spectateur en condition. Tout nos sens sont sollicités face à cette terre en fin de vie. La ville ressemble à un assemblage de Lego avec des tours dominants ses bâtiments accolés les uns aux autres, parfois séparés par des ruelles crasseuses et éclairés par les publicités s'animant sur leurs façades. L'air est pollué, le soleil est masqué par la couche de pollution recouvrant notre planète lui conférant un sentiment de fin du monde.


Blade Runner 2049 se déroule dans la continuité de l'univers découvert dans celui de Ridley Scott. Le temps s'est écoulé, mais la société n'a pas évolué. La terre se meure et la condition humaine reste précaire. Les inégalités se sont accentuées. La déshumanisation suit son cours. Les rapports sont violents, l'individualisme domine, l'esclavage continue, l'exploitation des enfants se fait loin des yeux (comme les enfants chinois confectionnant nos Nike). Toute la misère de notre monde est concentré en un seul lieu, où plutôt s'entasse comme dans une immense déchetterie à ciel ouvert.


K (Ryan Gosling) est un répliquant issu de la nouvelle génération. Il traque les anciens modèles pour le compte du LAPD dirigé par la lieutenant Joshi (Robin Wright). Il fait le sale boulot. Il est honni par tous et reste un robot, une machine, un vendu, un collabo mais surtout, un étranger. Sa seule relation est virtuelle. Elle s'appelle Joi (Ana de Armas). C'est sa seule alliée mais surtout sa raison de vivre. C'est un modèle parmi tant d'autres, apportant l'illusion d'une vie normale. Un artifice pour garder le peuple sous contrôle. Ce sont des substituts dans un monde où tout semble factice. Mais comme les répliquants, elle commence à avoir des sentiments. Elle se rapproche de l'humain et va se servir de lui à travers Mariette (Mackenzie Davis) pour combler l'absence d'un corps physique. Chacun cherche un moyen de ressentir et d'exprimer ses émotions. Pendant que l'homme accepte sa condition, les répliquants restent dans l'ombre en attendant leur heure. Ils sont en pleine évolution, alors que nous sommes en pleine régression.


La hiérarchie se lit dans l'architecture de la ville. Les pauvres vivent près de la terre dans les batiments insalubres. Le LAPD se trouve au-dessus d'eux, dans une des tours représentant le maintien de l'ordre sous les traits de la lieutenant Joshi. La pyramide du riche Niander Wallace (Jared Leto) domine l'ensemble. Le concepteur de la nouvelle génération de répliquants, vit loin des yeux de la plève. Il se prend pour dieu et veut façonner ce semblant de monde à sa manière. Il est à la recherche de la perfection et pense la tenir en découvrant l'existence d'un être issu de la relation entre un humain et une répliquante. Il charge son ange exterminateur Luv (Sylvia Hoeks) de le retrouver. La répliquante ne semble pas avoir de sentiments, sauf à l'encontre de son maître dont elle recherche l'affection. Là encore, on constate que l'homme est dénué d'émotions, alors que sa création laisse échapper une larme symbolisant une forme de sensibilité.


Les richesses de notre monde en perdition sont entre les seules mains de Niander Wallace. Le peuple se contente de ramasser les miettes qu'il lui vend à travers ses hologrammes pour les maintenir dans un état de soumission. Il utilise la lieutenant Joshi pour garder le contrôle de l'information et éviter une révolution. Le pessimisme est toujours de rigueur et vu l'état actuel de notre société, on ne sera pas étonné que notre planète soit dans la même configuration lors des prochaines décennies.


Dans la noirceur de cette société, il y a une lueur d'espoir. Elle est présente au coeur de la relation entre K et Joi. Elle est là où on ne l'attend pas, comme cette fleur au pied d'un arbre. Il est spécial à ses yeux, mais comment savoir si elle est sincère ou si cela fait parti de son programme. Comme le rêve de K, lui appartient-il ou est-ce un implant? En se posant la question, il fait déjà preuve d'une émotion avec le besoin d'exister par lui-même et non d'être juste une machine à tuer. Il se demande qui il est vraiment, en remettant en cause ses origines : je pense donc je suis (René Descartes). Est-il en pleine évolution où ce ne serait pas un répliquant comme les autres. Ce besoin d'être unique est un sentiment typiquement humain. Il l'est déjà aux yeux de Joi, mais qui est-il vraiment? La réponse à cette question semble évidente, du moins au premier abord.


Le scénario ne semble pas être à la hauteur de la virtuosité formelle époustouflante de l'oeuvre. On avance lentement avec l'impression d'être sous hypnose. La mise en condition se fait à travers la beauté des plans et de sa mise en scène. Denis Villeneuve réussit à rendre beau ce qui est laid, il applique avec talent les mots de Victor Hugo dans la préface de Cromwell (1827) : Elle (la muse) sentira que tout dans la création n'est pas humainement beau, que le laid y existe à côté du beau, le difforme près du gracieux, le grotesque au revers du sublime, le mal avec le bien, l'ombre avec la lumière.


On est visuellement sous le charme. On prend du plaisir à retrouver cet univers. Pourtant, il y a ce sentiment qui persiste, celui de la simplicité de l'intrigue. Alors que les réflexions sur notre société se multiplient, celle sur la raison d'être de cette oeuvre; en dehors de son superbe aspect formel; se fait lourdement ressentir. Le tableau de notre monde en pleine agonie ne semble pas en mesure de nous offrir autre chose que l'attente de voir apparaitre Rick Deckard (Harrison Ford). Mais n'oubliez pas que vous n'avez encore jamais vu de miracle, du moins dans ce film. Les propos de Sapper (Dave Bautista) trouve un écho différent au fil de l'histoire. On était dans les pas de K, partageant ses doutes et interrogations, avant qu'un autre point de vue modifie notre perception des événements. On nous a balladé pendant près de deux heures. Cela fait du bien de se tromper, de se faire avoir et de ne pas avoir su; où voulu; voir plus loin que le regard de K.


La rencontre entre K et Rick Deckard se fait dans un univers visuellement différent. Le décorum dans lequel avance K est magnifique, avant de se retrouver dans un lieu rappelant l’hôtel Overlook du Shining de Stanley Kubrick. La radiation remplace la neige, isolant cette demeure du reste du monde. Un piano trône en son sein, comme dans la modeste demeure de Sapper. L'art semble s'être réfugié entre ses murs. On aperçoit des livres, des peintures et un chien (robot ou pas?). La musique est aussi présente à travers les hologrammes d'Elvis Presley et Frank Sinatra. Cet amoncellement de richesses culturelles ont été éloignées des yeux du monde. Ils ont été rendus inaccessibles pour mieux vendre des produits ne suscitant que les sens les plus primaires de l'homme. Comme la fleur sur la tombe où le petit cheval de bois, ce sont des objets de valeurs car devenus rares. Ce qui semblait acquis : la nature, les animaux, la musique, la littérature, etc... se sont évanouis soit à cause de la pollution, soit à cause de l'homme pour mieux dominer le peuple en l'empêchant de s'épanouir à travers l'art et une certaine forme de liberté intellectuelle. L'esclave est là pour assouvir les besoins de son maitre et non les siens.


35 ans plus tard, la suite du classique de Ridley Scott adapté d'une oeuvre de Philip K. Dick, se montre à la hauteur de son prédécesseur. On regrettera quelques fausses notes comme le duel final au dénouement aussi chaotique que sa mise en scène. Mais durant 2h43, Denis Villeneuve réussit à nous captiver par ce film de science-fiction parlant de la condition humaine. Sa noirceur se marie à merveille avec sa beauté formelle et rend un projet semblant voué à l'échec, en une oeuvre incontournable de cette année cinématographique 2017.

easy2fly
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 10 cinéma 2017

Créée

le 9 oct. 2017

Critique lue 433 fois

7 j'aime

2 commentaires

Laurent Doe

Écrit par

Critique lue 433 fois

7
2

D'autres avis sur Blade Runner 2049

Blade Runner 2049
Djack-le-Flemmard
5

Blade Ruinneur

Denis Villeneuve est un metteur en scène qu'on apprécie. Sicario, Enemy, Premier Contact... la plupart de ses œuvres sont puissantes, et on sait le bonhomme capable de mettre une beauté plastique...

le 4 oct. 2017

209 j'aime

40

Blade Runner 2049
Chaosmos
9

Simulacres et simulation

Pourquoi Blade Runner 2049 ? Cette question se posait à l'annonce d'une suite aussi intrigante qu'inquiétante et force est de constater qu'elle se pose encore aujourd'hui. La nouvelle création de...

le 5 oct. 2017

161 j'aime

32

Blade Runner 2049
Behind_the_Mask
9

Solitudes hémorragiques

Pour ne pas être seul, on se réfugie dans une mégalopole techno. On vit les uns sur les autres dans des cités dortoirs. Et personne ne se connaît. Et les rues sont remplies, de gens qui baissent la...

le 4 oct. 2017

154 j'aime

35

Du même critique

It Follows
easy2fly
4

Dans l'ombre de John

Ce film me laissait de marbre, puis les récompenses se sont mises à lui tomber dessus, les critiques étaient élogieuses et le genre épouvante, a fini par me convaincre de le placer au sommet des...

le 4 févr. 2015

63 j'aime

7

Baby Driver
easy2fly
5

La playlist estivale d'Edgar Wright à consommer avec modération

Depuis la décevante conclusion de la trilogie Cornetto avec Dernier Pub avant la fin du monde, le réalisateur Edgar Wright a fait connaissance avec la machine à broyer hollywoodienne, en quittant...

le 20 juil. 2017

56 j'aime

10

Babysitting
easy2fly
8

Triple F : Fun, Frais & Fou.

Enfin! Oui, enfin une comédie française drôle et mieux, il n'y a ni Kev Adams, ni Franck Dubosc, ni Max Boublil, ni Dany Boon et autres pseudos comiques qui tuent le cinéma français, car oui il y a...

le 16 avr. 2014

52 j'aime

8