En 1982, sortait sur les écrans un film qui allait révolutionner la science-fiction au cinéma, et, de manière plus large, le septième art tout court : "Blade Runner", réalisé par Ridley Scott, à l'époque encore tout auréolé du triomphe critique et public de son deuxième film , "Alien", lui aussi appelé à devenir un classique avec le temps.
De par son ambiance sombre, pessimiste et adulte située à mi-chemin entre la S-F classique et le film noir des années 40, "Blade Runner est un film qui, au moment de sa sortie et encore bien après, n'aura eu de cesse de susciter la curiosité de grands nombres de personnes; cinéphiles tatillons comme écrivains de S-F ou même philosophes, au point même de désormais faire office d'"objet de culte", dépassant son statut de film de ciném", sans même parler des nombreuses modifications effectuées au fil des décennies sur le film et sa distribution en vidéo et DVD (version cinéma de 82, "Director's cut", "Final Cut").
Bref, c'est dire donc si la pression qui pesait sur les épaules du pourtant brillant réalisateur Denis Villeneuve ("Incendies", "Prisonners", "Arrival") était lourde (euphémisme).
Objectivement parlant, au vu de l'importance acquise par le film original de 1982 au fil du temps (considéré désormais, à juste titre, comme un chef d'oeuvre de l'Histoire du Cinéma) et en dépit de trailers aguichants et de la présence de Villeneuve derrière la caméra, on était en droit de se poser des questions sur cette suite, quelques 35 ans après la sortie de son illustre modèle.
Maintenant que l'embargo est levé et qu'on est donc désormais libre de donner son avis, que vaut donc cette suite ? Est-elle à la hauteur des attentes ?
Eh bien, globalement... OUI !
"Blade Runner 2049" est une réussite majeure en (presque) tous points, un film à la hauteur de son prédécesseur, ayant acquis les leçons de on glorieux aîné pour mieux les redéfinir.


Autant le dire d'emblée : à tous ceux qui craignent un remake déguisé du 1er film, soyez sans crainte, il n'en est rien. En effet, l'idée de génie de Denis Villeneuve et de Hampton Fancher, le scénariste du film d'origine, est de faire évoluer l'intrigue de base (les Replicants sont-ils seulement vouer à aider les humains dans leurs tâches domestiques ou au contraire, sont-ils vouées à une cause plus grande encore qui pourrait bien dépasser celle des humains ?) tout en restant fidèles aux leitmotivs de base, à savoir brosser des thématiques réflexives sur fond d'action par petites touches et d'esthétique sombre et envoûtante.


En racontant la quête du jeune "Blade Runner" K (joué par Ryan Gosling, rôle qui lui va comme un gant d'ailleurs) à la recherche de son ex-confrère l'agent Rick Deckard (héros du 1er film, toujours interprété par Harrison Ford) afin de l'interroger sur un secret qui pourrait bien changer à lui seul le sort entier de l'humanité, le film de Villeneuve, à l'instar de son prédécesseur, s'appuie avant sur des questionnements réflexifs et philosophiques sur le devenir de l'être humain, son évolution, son rapport au monde, ainsi que son lien privilégié avec les nouvelles technologies et les androïdes; soit un ensemble de thématiques déjà abordés par le film de Ridley Scott mais que Villeneuve arrive à moderniser (faut dire aussi que cette suite se déroule narrativement parlant près de 30 ans plus tard) notamment par le biais de l'agent K et de son environnement technologique.
Ainsi, il est désormais possible qu'un visage artificiel se greffe littéralement à un visage humain et, dès lors, à se faire passer complètement pour lui. De même, on sait maintenant contrôler les faits, gestes et pensées des "nouveaux Replicants", manière de s'assurer qu'ils sont tout sauf humains.
La grande force du film (plus encore que dans l'opus précédent) est de parvenir à rendre l'ensemble de ces thématiques très émouvantes. En effet, bien que fidèle à l'ambiance froide, pesante et dépressive du film de Scott, Villeneuve y injecte une puissance émotionnelle peu banale, renforcée par une musique lancinante et par l'usage des gros plans sur les visages humains et de plans larges mettant en évidence les superbes décors tristes et pluvieux du Los Angeles de 2049.
Outre la musique et les décors, l'autre élément filmique décuplant l'émotion n'est autre que... Ryan Gosling lui-même. Comédien fort peu expressif s'il en est (ce qui ne veut pas dire qu'il est mauvais, loin de là), Villeneuve, par l'usage du gros plan et du plan rapproché, parvient à capter, à travers le visage froid et triste de Gosling, toute la solitude et l'inquiétude qui habite intérieurement l'agent K. A l'instar de Deckard dans le 1er film, K est désabusé, semble errer dans un monde en ruine auquel il ne comprend plus rien; ce n'est que lorsqu'il rencontrera enfin Deckard que K prendre pleinement conscience de l'importance de son rôle à jouer dans l'intrigue.


Comme mentionnée un peu plus haut, les décors participent également beaucoup au propos formel et réflexif du film. Tout en verticalité à la fois impressionnante et menaçante, ponctuée d'images publicitaires à outrance (dont un joli clin d'oeil ironique à "Sony" qui n'est rien moins que l'un des distributeurs du film) et autres femmes artificielles, poupées de cires, de sons, et de pixels.
Ces décors, de par leur grandeur démesurée, symbolisent littéralement l'enfermement qu'ils imposent aux habitants de Los Angeles, tels des insectes voués à rester éternellement dans un monde obnubilé par la grandeur et le progrès.


Ce que l'on retiendra également de ce nouveau film est son extraordinaire capacité (comme le faisait déjà le film de Scott) à entremêler habilement action (et donc séquences plus musclées) et questionnement existentiel/philosophique. A ceux qui ne l'auraient pas encore compris, les deux films "Blade Runner" ne sont pas, à proprement parler, des films d'action. Bien que, dans les deux cas, il y soit question de chasse à l'androïde, les morceaux de bravoure sont, en fin de compte, assez peu nombreux et, encore mieux, sont là uniquement pour servir l'intrigue, autre leçon que l'ami Villeneuve aura retenu de papy Scott sur le film d'origine. Si l'on ne pourra jamais faire mieux en matière de "trompe l'action" que l'inoubliable monologue de fin de Roy Batty dans le 1er "Blade Runner", cette suite en regorge aussi, à l'instar des monologues du concepteur de réplicants Neander Wallace (interprété tout en sobriété par Jared Leto, à mille lieux de ses "jokereries" dans "Suicide Squad") qui, à l'instar de Roy Batty, s'interroge ni plus ni moins que sur le pourquoi du comment, jusqu'à quel point l'humanité et la technologie peuvent s'entremêler et se redéfinir mutuellement.


Autre atout majeur du film : l'interprétation.
Comme mentionné plus haut, Ryan Gosling, dans le rôle du tourmenté agent K, est juste parfait. Quoiqu'en disent ses détracteurs, son absence (volontaire ou non) d'expressions faciales mêlé à sa voix cassé suffisent amplement à faire comprendre au spectateur toute la mélancolie et le poids du monde qui habite (ou hante, c'est selon) le personnage. En cela, Gosling était l'interprète parfait de ce jeune homme tiraillée entre tristesse, incompréhension et questionnement existentiel.
Dans le rôle de l'emblématique Rick Deckard, Harisson Ford est toujours aussi charismatique et a même le mérite d'innover sa manière de jouer ce personnage qu'il interprétait il y a 35 ans. Avec sa voix éraillée, sa mine grave, ses yeux tristes, Rick Deckard devient encore plus tragique qu'il ne l'était déjà dans le film d'origine.
A noter également les très bons jeux de la jeune comédienne hollandaise Sylvia Hoecks, dans le rôle de l'androïde Luv (personnage pas loin dévoquer celui du réplicant Roy Batty), personnage à la fois fort, brutal et sec et, dans un rôle a priori plus mièvre, celui de la mignonne Ana de Armas, dans le rôle Joi, petite amie idéale de l'agent K qui, d'une certaine manière, symboliserait sa conscience.
Seule ombre au tableau de ce très bon casting : Robin Wright qui, comme très souvent, fait du Robin Wright. Dans le rôle du lieutenant Joshi, la supérieure hiérarchique de l'agent K, la comédienne nous ressert encore et toujours son numéro de "Claire Underwood la salope" (personnage-phare de la série télé "House of Cards") à coûts de rictus sceptiques, de yeux et de bouches entrouvertes histoire de bien montrer que son personnage est froid comme le pôle Nord, le tout sur fond de visage de plus en plus figé par le Botox et le bistouri.


Globalement parlant, "Blade Runner" est, à mon sens, bien plus qu'une simple suite; il s'agit avant tout d'un tout autre film qui parvient à trouver sa propre voie, en innovant tout en restant fidèle au matériau de base du film d'origine (questions philosophico-existentiels, splendeur des décors, esthétique sombre et envoûtante).


Si, par ci par là, on pourra toutefois faire la fine bouche sur quelques légers détails (la musique, composée dans ce cas-ci par Hans Zimmer et Benjamin Wallfish, n'est pas aussi émotionnelement intense que celle, inoubliable, de Vangelis; l'interprétation cabotine de Robin Wright), on peut aussi clamer haut et fort que "Blade Runner 2049", portant fort redouté, est une réussite majeure sur de très nombreux plans; une claque visuelle et formelle époustouflante et ambitieuse dont la force des thématiques continuent à nous hanter longtemps après la projection.


D'ores et déjà une référence !

f_bruwier_hotmail_be
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le 7 oct. 2017

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