Denis Villeneuve est un génie. Ou un magicien alors.


Car oui, décidément, parvenir systématiquement à se faire mousser autant et aussi unanimement à chaque nouvel opus alors que ces derniers sont, et ce depuis le début de la hype qui entoure le réalisateur (soit véritablement depuis Prisoners), au mieux des films très moyens réussissant à peine leurs objectifs, au pire de sacrés merdes bien pompeuses et sans intérêt ... mine de rien l'exploit se pose là.


J'avoue ne vraiment pas comprendre comment il fait. Et je ne pense pas que Blade Runner 2049 va m'être d'un quelconque secours dans cette optique étant donné qu'une fois de plus, le gaillard récidive ici avec brio. D'autant qu'il parvient à avoir l'une des plus belles ovations de sa carrière pour ce qui est sans doute le pire de ses films jusqu'ici. Et autant pour ses précédents films je voulais bien mettre mon hermétisme global au style du réalisateur comme principale raison de ma non appréciation de ces soit-disant chefs d'œuvres (sauf Sicario qui a pour moi trop de vrais et importants problèmes de scénario pour tout mettre sur le dos de ma sensibilité personnelle à la patte de Villeneuve), autant cette fois-ci et je n'en démordrais pas, certes cela confirme sans doute définitivement que je n'aime pas ce réalisateur et reste insensible à ses effets, mais Blade Runner 2049 reste avant tout pour moi un mauvais film et un vrai de vrai, zénith logique d'une carrière de mise en scène ne se reposant (à part peut-être Premier Contact) que sur le caractère hypnotique de ses effets et sa forme bien léchée pour mieux camoufler le manque d’inspiration globale voir la médiocrité de ses fonds.


Et je suis d'autant plus surpris qu'il s'en tire à si bon compte qu'il s’agit pourtant cette fois de la suite d'un des chefs d'œuvres les plus acclamés de l'histoire du cinéma, porteur de féroces et fervents défenseurs qui auraient eu en toute logique vite fait de démembrer une suite aussi insignifiante et irrespectueuse de son illustre aîné. A croire qu'il suffise dorénavant de savoir à peu près bien filmer et de faire preuve d'un minimum d'esthétisme pour se voir accorder le titre de grand réalisateur ...


Alors c'est sûr que bien filmé, Blade Runner 2049 l'est. C'est un de ses seuls points positifs d'ailleurs. Avec une scène (Une seule. En 2h45 ...) qui, sonnant presque déconnectée du tout, surnage au-dessus du marasme global qu'est le reste du film. Je parle bien entendu de la magnifique scène de sexe d'où là pour le coup quelque chose de vraiment puissant et viscéral se dégage.


Et en toute honnêteté, il faut bien reconnaître que sans jamais atteindre la transcendance du jeu de Rugter Hauer dans l’original ou même pour Harrison Ford d’arriver à être aussi crédible qu’avant dans son rôle, les acteurs font le job et a peu près tous arrivent, au contraire au hasard d’un certain Covenant, à faire exister leur personnage à défaut de vraiment pouvoir les travailler et les développer, et ce même, dans les cas de Dave Bautista et Jared Leto, dans un laps de temps très limité. Si Ryan Gosling ne se foule pas trop par rapport à son registre habituel de personnages mutiques, il faut dire que ça conviens ici la plupart du temps au film. Quant à sa compagne Ana De Armas, elle est sans le moindre doute la meilleure actrice du film, illuminant ce dernier de sa présence hélas trop restreinte et lui offrant ainsi sa seule scène vraiment marquante.


Du reste, j'ai rarement vu une suite être autant à côté de la plaque vis à vis de son aîné tout en étant à ce point persuadée de l'avoir compris et d'en constituer la plus belle continuation qui soit.


Déjà au niveau de l'esthétique tant acclamée. C'est simple : bien que belle en soi, elle est terriblement générique dès qu'elle sort des éléments que le film récupère de l'original, et parfois même impertinente avec cette dernière. C'est exactement ce que Villeneuve fait tout le temps et je trouve que ça ne colle pas toujours pleinement à l'univers dans le cas présent, ressemblant bien plus dans ses décors inédits à ce qui s'est fait dans la science-fiction récente que ce à quoi ressemblait l'univers de Blade Runner. Et ces derniers font pâle figure en comparaison de l'appartement de Deckard, du salon du Nexus de Tyrell ou encore du bâtiment de J. F. Sebastian dans l'original. Je suis intimement persuadé que ce Blade Runner laissera une empreinte esthétique beaucoup moins forte que celle de son prédécesseur. L'original marquait par son visuel en 1982 comme encore aujourd'hui. Celle de cette suite, bien que réussie, est déjà beaucoup plus proche de ce qui se fait à son époque dans ce genre de films. Du bon travail oui, mais absolument rien d'exceptionnel.


Enfin, si seulement ce détail assez minime était le seul problème du film ... Malheureusement il en a bien d'autres. Et des biens plus graves.


A commencer par son rythme. Qui est juste le pire que j'ai pu voir depuis une sacré plombe (et pourtant Covenant avait fait fort cette année avec ses 3 premiers quart d'heures de brassage de vide interminable). Et il est mine de rien responsable de beaucoup de problèmes du film.


J'ai rarement ressenti une telle sensation de mollesse voir même de léthargie devant un film. Les 2 premiers tiers sont un supplice de ce point de vue-là, c'est interminable ! Il y a une nette différence entre prendre le temps de poser et développer son récit, son univers et ses personnages et étirer au possible ses séquences pour gagner le plus de temps possible. Quelque chose dont d'ailleurs Villeneuve donne presque l'impression d'avoir conscience, tant à chaque fois qu'il le peut-il laisse sa caméra s'attarder sur les longs et lents mouvements menés par ses personnages dans l'avancée de leur intrigue.


Ce qui est d'autant plus insupportable que si l'on a vu le premier film avant on voit absolument tous les éléments de l'intrigue de cette partie du film arriver à des kilomètres à la ronde (à tel point d'ailleurs que ça donne au final presque l'impression que toute cette partie du film a été pensée pour des gens n'ayant pas vu l'original. Alors que paradoxalement, le dernier tiers du film doit être imbitable pour les néophytes tant il y fait allusion ...). Et il y a peu de choses aussi insupportables que de te faire lambiner des plombes pour le pur plaisir de le faire sur des détails qu'on va te vendre à chaque fois comme le gros retournement de génie du film alors qu'on les a tous systématiquement vu venir et que l'on n'attendais plus que leur révélation pour qu'enfin l'intrigue puisse avancer !


Peut-être cela aurait-il pu passer si Villeneuve avait eu le talent de mise en scène nécessaire pour développer une ambiance suffisamment enivrante et fascinante pour porter son récit à défaut d'en transcender la lenteur. Malheureusement ça n'a pas été le cas pour moi. Ce qui fait que j'ai surtout suivi de mon côté une histoire sans la moindre ambiance ni tension dramatique, tuée par une rythmique narrative léthargique comme j'en ai rarement vu et délaissée par une mise en scène incapable à travers ses effets de m'immerger dans son récit et à me rendre son intrigue intéressante. Encore une fois avec ce réalisateur "de génie".


Et ce n'est pas la musique cataclysmique d'Hans Zimmer, qui passe le film à singer timidement (et mal) Vangelis pour ridiculement se lâcher en explosion de basses à la Inception dans le générique de fin (on sent le mec bien frustré qui s'est retenu pendant tout le film et qui se défoule car rien à battre du générique, c'en est presque hilarant d'ailleurs) qui risque de faire prendre la sauce, bien au contraire (cette reprise catastrophique de Tears in Rain, mon dieu ...).


Car concernant le rythme, au contraire de ce début qui traîne des pieds comme ce n'est pas permis, le dernier tiers du film lui, sans sortir de cette torpeur globale, s'enchaîne beaucoup trop rapidement sur le plan narratif. En plus d'être très mal dosée et répartie, la narration du film n'est donc en plus jamais servie par ce rythme catastrophique, qui n'offre pas la moindre impulsion à son récit, et ce même quand ce dernier lui apporte les éléments normalement nécessaires pour ce faire.


Là encore cette lenteur que veut imposer au possible Villeneuve dans son film témoigne d'une incompréhension totale de l'usage de ce procédé dans l'original de Ridley Scott. Les "lenteurs" (que personnellement je n'ai jamais ressenties, car contrairement aux 95 % de ce film je ne me suis jamais ennuyé une seconde devant l'original) de ce dernier le servait toujours d'une quelconque manière au-delà du simple plaisir contemplatif de somptueuses images, que ce soit en termes d'immersion dans l'univers proposé et d'entretien d'ambiance que de narration visuelle et surtout de développement de nombreux sous textes sur nombre de thèmes aussi variés et vastes que la frontière humain / robot, qu'un système capitaliste arrivé au bout du rouleau, que la création, l'humanité, le rapport à la vie et au temps ou encore l'affection familiale voir amoureuse envers des êtres fictifs. Souvent en en entretenant plusieurs sinon tous en même temps d'ailleurs. Oui l'original avait également beaucoup de pauses dans l'intrigue et autres instants suspendus dans le temps, mais ce n'était jamais ni gratuit, ni futile.


Blade Runner 2049 lui se réfugie toujours systématiquement et exclusivement derrière l'argument du contemplatif pour justifier ses innombrables et bien souvent inutiles longueurs. Le problème de cette démarche, c'est qu'elle ne se repose du coup plus que sur l'appréciation subjective du spectateur pour pouvoir éventuellement fonctionner et c'est dès lors très bancal. Déjà bien évidemment parce que lorsque l'on est dans mon cas et qu'on reste relativement insensible à la mise en scène et aux images de Villeneuve au-delà au mieux d'occasionnels "tiens, là c'est joli", on a donc pratiquement rien à se mettre sous la dent. Mais même dans le cas inverse où on arriverait à se faire porter par ces éléments, quelle perte de richesse et de poids ont ces derniers malgré tout vis à vis de l'original ! Au mieux cette démarche peut nous enivrer et nous faire oublier les longueurs du film, mais sans rien apporter en plus à côté ...


Car bon, au-delà de la beauté brute des images, qu'il y a-t-il à contempler dans Blade Runner 2049 ? Des environnements symétriques et uniformes dans leurs couleurs pour la plus pure beauté de l'image et du design certes, mais qui ne disent fondamentalement rien sur l'univers du film ? Ce monde les 9/10ème du temps vide de toute vie, humaine comme électrique d'ailleurs (on a constamment l'impression que la ville est en panne l'électricité, c'est dingue), mais sans que ce silence et cette mort n'apportent fondamentalement quoi que soit au film et peine à cacher la vacuité totale de ces scènes qui n'ont rien ou si peu à dire (et mon dieu, jamais un film ne m'avait fait autant réaliser à quel point 2h45 c'est long, surtout quand c'est pour raconter au final si peu de choses, et des si peu intéressantes) ?


La faute entre autres à un scénario d'une indigence crasse :


• Qui déjà a son lot d'incohérences et d'improbabilités bien parfois bien gratinées, allant du détail certes mais qui mine de rien relève de la pure faute d'inattention facilement corrigeable si on y avait fait gaffe


("Elle avait les yeux verts" ... Je suis peut-être un daltonien qui s'ignore mais ils me semblaient bien marrons pour du vert, les yeux de Sean Young dans l'original. Et l'androïde recréé de Rachel se pointe bien avec des yeux marron ...)


, au point de scénario crucial


(le personnage de Jared Leto qui change de motivations comme de chemise et qui fait genre qu'il recherche Deckard depuis des plombes à la fin alors qui si K n'avait pas ramassé la putain de fleur l'ayant mené à la putain de date écrite sur l'arbre du début du film, l'intrigue de ce film n'aurait jamais eu lieu et il serait resté à philosopher ad vitam aeternam avec sa secrétaire dans sa tour d'ivoire sans jamais envoyer cette dernière au cul de K. Soit non seulement rien qui vienne de son initiative personnelle pour atteindre son objectif mais qui le met en plus dans une position d'expectative qu'un éventuel signe miracle pointe le bout de son nez, donc se reposant totalement sur du hasard. Ce qui est pas mal quand même pour l'homme le plus riche et puissant de l'univers ...)


, à l'absence volontaire de certaines explications parce que le film ne sais pas comment y répondre


(en plus d'un cruel manque de contextualisation au sujet d'un univers qu'il ne fait visuellement jamais vivre et de son évolution par rapport au premier film qui n'est quasiment jamais rattrapé au cours de ce second opus * , rien que pour reprendre le cas de Jared Leto, dépeint comme le sauveur de l'humanité dans la crise inexpliquée qu'elle a connue entre les 2 films et devenu l'homme le plus riche et puissant de ce monde, il est soit disant limité dans sa production de réplicants … pour quelles raisons au fait ? Lui qui, contrairement à Tyrell dans le 1er film, n'a pas peur d'user de ses pouvoirs pour ouvertement surpasser les autorités et en agresser leurs représentants pour accomplir ses objectifs ? Là encore, le film refuse de répondre, mais ce n'est pas en ne créant pas d'incohérence claire et visible en esquivant le sujet que ça rend la chose pour autant plus crédible ...)


* et je refuse d'entendre parler des 3 courts métrages YouTube censés expliquer ce qui aurait dû être dans le film - pratique digne de cette daube finie de Covenant au passage, les grands esprits se rencontrent - déjà tout simplement car ça n'y est pas, mais en plus parce que dans un film contenant autant de scènes inutiles et/ou inutilement rallongées, il y avait largement moyen de caser ce contenu à la place dans leurs interminables 2h45 qui auraient sans doute été un poil plus consistantes.


et à la caractérisation fondamentale de certains personnages


(La chef de K par exemple qui déteste les réplicants et s'en méfie comme la peste mais a une confiance aveugle en lui - tout en sachant qu'il en est un - au point de le laisser partir en mode rien à foutre complet face à sa déclaration de meurtre de l'enfant sans vérifier ses dires par derrière d'une quelconque autre façon et alors que ce dernier viens de passer un test prouvant clairement qu'il est troublé par rapport à d'habitude ?! Sans parler du fait qu'elle laisse approcher la secrétaire de Leto sans aucune mesure de sécurité vis à vis d'elle alors qu'elle sait non seulement que c'est une réplicante mais aussi qu'ils sont dans l'objectif inverse du sien. Ironiquement c'est ce qui causera la mort du personnage, d'être incohérente avec sa caractérisation de base ...).


• Qui n'a fondamentalement rien à dire donc. Et sur ce point il est assez hallucinant de constater que 35 ans après l'original et après tous les bouleversements technologiques, économiques et sociaux qu'a connu le monde depuis 1982, ce film, qui dure quand même presque une heure de plus, ne parviens à développer un propos neuf et intéressant que sur une seule scène. Et encore, neuf dans l'univers de Blade Runner, et uniquement en termes de forme. Car au-delà du fait que sous une forme quasi identique, rien que le Her de Spike Jonze ou encore l’Ex-Machina d’Alex Garland allaient beaucoup plus loin, on retrouve également dans l'original en termes de fond une réflexion similaire tout en sous-texte mais malgré tout plus poussée et avec plus de résonance au sein de son film à travers le personnage de J.F. Sebastian et de ses automates, ainsi que dans la relation Rachel / Deckard.


D'ailleurs, toutes les thématiques effleurées par le film font au mieux redite en beaucoup moins creusé et souvent bien plus manichéens (par exemple, le fait que les humains dans ce film soient tous des connards hypocrites et haineux quand les réplicants eux incarnent toutes les valeurs nobles anciennement chère à l'humanité – sauf la secrétaire de Leto mais c’est normal car elle est justement là pour représenter ce que les réplicants deviendrait sous le contrôle total de ce dernier –) de ce qui disait déjà l'original, quand certaines de ses thématiques n'ont pas quasiment disparues (le propos sur le capitalisme entre autres, réduit à peau de chagrin en quelques répliques ne menant nulle part dans les 2 scènes et demi de Jared Leto).


Mais même sans tenir compte de l'original (car oui, on va me reprocher de trop le comparer à l'original, mais pour un film qui s'appuie autant sur le boulot effectué par ce dernier pour exister, surtout en termes de fond pour tenter de combler l'absence totale de travail de sa part dessus, j'ai envie de dire que c'est quand même la moindre des choses), on se retrouve avec un film d'une pauvreté thématique effarante. Le film se contentant de balancer des concepts et références de science-fiction dont il ne fait trop souvent rien, reste au mieux basique au possible dans le traitement de ses thématiques, mais pire encore, ne mène même pas la plupart d'entre elles à un terme, aussi simpliste ce dernier aurait-il pu être (il aurait au moins eu le mérite d'être là. Mais même ça le film ne le fait pas).


• Qui se croit intelligent et subtile juste parce qu'il ne développe pas son récit sous les formes habituelles du moment. Alors qu'au final non seulement le film est nettement plus didactique que l'original, surlignant ses twists au gros feutre fluo et assénant ses révélations à coup de flashbacks, mais également parce qu'il ne fait au bout du compte qu'enfermer l'univers de Blade Runner dans une énième histoire de recherche de l'élu qui permettra de résoudre la guerre humains / réplicants, soit le dada de la grande majorité des films fantastiques et de science-fiction post Matrix. Et il le fait mal en plus, n'amenant le vrai cœur de son récit que bien trop tardivement dans la balance pour qu'il puisse être correctement développé et éventuellement mener vers quelque chose d'intéressant, dans un espoir désespéré que les spectateurs n'y verront que du feu. Alors qu'il y a fort à parier qu'en assumant ce virage scénaristique en le faisant survenir plus tôt dans le film, peut-être alors qu'à défaut d'un film à la hauteur de son aîné on aurait déjà eu un bon film.


Et ça aurait pu rendre ce pseudo twist sur le fait que K ne soit en réalité pas l'élu bien plus utile et intéressant au scénario en ayant le temps de vraiment le développer. En l'état, c'est juste une manœuvre putassière de plus pour faire genre que le film est au-dessus des autres utilisant ce type de scénario alors que dans l'exécution K reste bel et bien le seul personnage à faire avancer l'intrigue et à la résoudre, et donc accomplir la principale quête de cet élu qui n'est pas lui et qui reste complètement inactif du reste du film à sa place. Ce qui donne sur un pur plan scénaristique strictement la même fonction à son personnage donc. T'as beau rajouter un dialogue contradictoire par dessus Denis, dans les faits ça ne change rien. C'est dommage car le film est réellement passé à côté d'une réflexion très intéressante de ce côté-là et qui sur le plan thématique lui aurait donné une identité propre vis à vis de l'original pour le coup, et ce juste pour de la prétention pure de soi-disant s'éloigner du troupeau au lieu d'oser le faire concrètement.


• Et enfin qui est profondément lâche. Et sur ce point c'est encore une fois dû à son rapport à l'original dont il pense avoir compris le génie mais face auquel il est une fois de plus totalement passé à côté de la plaque. Et ça concerne bien sûr entre autres la fameuse question que soulevait la fin du film de 1982 donc je vais passer sous spoiler pour soulever ce dernier point au cas où sait-on jamais quelqu'un n'ayant découvert le chef d'œuvre de Ridley Scott atterrirait ici par mégarde.


A savoir donc Deckard est-il ou non un répliquant ?


Le simple fait de faire une suite à Blade Runner impliquant le personnage d'Harrison Ford, surtout après tant d'années entre les deux films, sous entendais l'inévitable et très casse-gueule écueil de devoir faire face à cette question culte de l'histoire du 7ème art. La grande force de l'original de ce point de vue-là, c'est qu'en plus de laisser aux 2 réponses la possibilité d'exister sans nécessairement en favoriser l'une à l'autre, chacune d'entre elle offrait des lectures totalement différentes du film tout en étant très belles et en cohérence totale avec ce qu'il avait développé jusqu'alors. Cette question brouillait tellement la frontière entre les robots et les humains qu'elle permettait en plus, même dans l'éventualité d'un Deckard humain, de reconsidérer totalement pleins de points de l'univers que nous venions de suivre pendant presque 2 heures, nous invitant ainsi donc à y replonger de plus belle à l'affût des moindres détails nous permettant d'approfondir nos hypothèses et ainsi d'enrichir considérablement notre expérience du film. Bref, une liberté d'interprétation et de réflexion incroyable par rapport à ce que le film nous laissait, le tout sans jamais trahir son essence et son but.


Bien évidemment il s'agissait là d'un défi colossal à surmonter que de parvenir à conserver la force et la richesse de cette fin en prolongeant l'univers de l'original tout en satisfaisant à la contrainte du retour de ce personnage, que sans doute seul un vrai génie du scénario et de la réalisation aurait pu accomplir, si tant est que ce soit possible et pas tout simplement une impasse (car très sincèrement, je ne voie pas comment c'était faisable sans tomber dans au moins un des deux pièges béants et évidents qu'implique l'affaire). A la vue du reste du film, il était inévitable que Blade Runner 2049 se prenne au moins un peu les pieds dans le tapis face à ce sujet.


Cela dit, de là à en plus dévaler la montagne comme il l'a fait ... eh bien il fallait le faire justement ! Car le film tombe non seulement dans le piège de ne pas verbalement répondre à la question dans l'unique but de faire comme l'original ... tout en tombant également dans le piège d'au final y répondre implicitement à travers les éléments de scénario qu'il laisse à notre disposition.


Car je suis désolé Denis, mais avec ce que tu me dis là, Deckard ne peut être qu'un réplicant.


Car oui, tu as beau reprendre dans ton film la règle de fonctionnement des réplicants rajoutée dans la scène de fin supplémentaire de la version de 1982 de l'original afin d'avoir un happy end (et le fait de choisir cette version là rend ta suite plus incohérente encore que si elle était celle de la Director's Cut de 1992 ou du Final Cut de 2007) pour tenter de contourner le fait que la vieillesse de Deckard signifie nécessairement qu'il soit un humain ... tu ouvres du coup la porte au fait qu'il puisse être répliquant si grandement, et tu ne sembles aller tellement plus que vers cette direction que la simple possibilité d'envisager que Deckard puisse être humain dans cette histoire s'avère ridicule tant ça semble ici bien moins logique et cohérent que le fait qu'il soit réplicant.


Parce qu'outre le fait que cet épisode confirme immédiatement la théorie selon laquelle la police serait capable d'utiliser des réplicants comme Blade Runners et que ça ne semble absolument pas choquer Miss Robotphobe qui dirige le service, sous-entendant fortement qu'il s'agit donc là d'une pratique sans doute assez habituelle de leur part, s'ils ne l'ont pas toujours employée.


Outre celui qu'il a réussi à faire un enfant à la réplicante Rachel, qui, s'il certes n'exclut pas l'éventualité que la reproduction soit possible entre un homme et une réplicante, fait encore un peu plus pencher la balance du côté Deckard = Réplicant étant donné que la reproduction entre réplicants est-elle confirmée comme étant possible, sa recréation étant même en plus le but premier des réplicants résistants et du personnage de Jared Leto.


Celui qu'il s'est retrouvé capable de pirater les bases de données du Nexus et de falsifier de l'ADN de réplicant (d'autant qu'il confirme très clairement dans le film que c'est lui qui a fait ce coup-là), ce qui semble improbable de la part d'un tueur de robots dépressif et solitaire qui n'a fait que ça de sa vie mais déjà moins d'un réplicant conscient de sa nature et auquel on aurait pu incorporer les informations nécessaires dans sa mémoire (après tout, ils peuvent bien leur implanter des souvenirs) pour pouvoir réussir un tel coup de lui-même.


Sans compter qu'à 70 balais il est quand même vachement balaise contre des réplicants bien plus jeunes et récents que lui et qu'il encaisse bien leurs coups, là où dans l'original il prenait bien plus cher face à moins fort que la menace de cet épisode soit dit en passant ...


Tu vas en revanche difficilement me faire gober le fait que Deckard ait pu survivre tant d'années dans un Las Vegas irradié et radioactif s'il était un être humain.


A la manière dont il a traité les réplicants et autres formes de vie artificielles pendant tout le film en contraste avec celle dont il traite les êtres humains, il est évident que Villeneuve se place du côté des réplicants et on peut donc facilement deviner qu'il préfère que Deckard en soit un plutôt qu'un humain. Et en soit c'est son droit que de vouloir faire une suite avec un Deckard réplicant. Mais bordel, alors, assumes-le !


Et c'est là que réside la lâcheté dont je parlais plus haut. Jamais Villeneuve n'accepte de reconnaître qu'il prend position face à cette question, sans doute dans l'optique de maintenir l'illusion que le legs de la question originale reste intact vis à vis de ce dernier. Alors que ses actes montrent qu'il le fait clairement. Et le nier empêche en l'état non seulement cette prise de position d'avoir un quelconque impact et intérêt sur le film, mais surtout n'évitera absolument pas pour autant ce legs de perdre tout son sel et son sens dans cette suite. Qui aura définitivement été celle de la mort de la liberté d'imagination, d'interprétation et de réflexion autour de son univers, le film derrière ses grands airs mystérieux répondant narrativement parlant à tout au bout du compte, ne laissant aucune place au débat de ses points de scénarios. Soit, encore une fois, l'inverse même de l'original. Même si au moins c'est du coup raccord avec la pauvreté thématique du film qui ne souhaite presque jamais développer la moindre réflexion ...


A défaut de conserver intact l'héritage de l'original, Villeneuve est ainsi passé à côté d'une belle occasion de faire preuve de véritable audace et d'offrir une identité propre au film en effectuant un affranchissement clair des rouages de son modèle et assumant ses différences en tant que suite. Quitte à ce que ça divise et/ou que ça rate complètement, au moins on n'aurait pas pu nier le courage de l'entreprise.


A la place, il a choisi de faire l'autruche en mettant les deux pieds dedans et d'en plus se foutre ouvertement de la gueule de son public en prétendant tout du long l'inverse. Un génie du 7ème art qu'on vous dit !


Bref, au lieu du 2001 : L'Odyssée de L'Espace du XXIème siècle qu'une extrême majorité semble vendre, j'ai eu la désolation de découvrir face à moi au contraire un film prétentieux (en plus de l'aspect pompeux et des gimmicks mal employés de l'original mais bien surlignés pour te montrer que tu voie, on le respecte, on lui rend hommage hein, la réplique finale, qui je le rappelle, est délivrée par une faiseuse de rêves à peu près dans ces termes : "C'est merveilleux n'est-ce pas ?", ne laisse aucun doute là-dessus) rythmiquement mort, thématiquement creux et narrativement mauvais. Et au contraire de ce que disent beaucoup, un film qui ne complète en rien le Blade Runner original, l'emprisonnant dans un carcan de blockbuster de SF lambda des années 2010, tout en lui ôtant - si l'on prend en compte cette suite comme irrémédiablement liée à son aîné, ce que je vais bien évidemment à titre personnel me faire le plaisir de ne pas faire - une bonne couche de sa richesse et de ses réflexions ainsi que certains de ses plus beaux aspects. Et ce, sans l'assumer en plus !


Trop préoccupé à vouloir égaler voir surpasser le premier avant même de chercher à savoir si ce qu’il fait est ne serait-ce qu’un minimum bon, Blade Runner 2049 se plante au final à la fois en tant que suite d’un original dont il ne sera jamais parvenu à vraiment comprendre l’essence, mais encore plus en tant que film tout court. Car au-delà d’être une suite ratée, il est bien avant tout un très mauvais film. Et par dessus le fait d’être un très mauvais film, je le soupçonne même d'être en plus une monstrueuse escroquerie. Car c’est un film dont le traitement de pas mal d'éléments donnent avec le recul l'impression qu'il sait au fond pertinemment qu’il n’est pas ce qu’il prétend être, mais qu'il n’assumera jamais cet état de fait et fera cependant tout ce qui relève de son possible pour maintenir l’illusion du contraire. Au détriment, à défaut d’une suite honorable, de ce qui aurait peut-être pu être un bon film s’il s’était armé d’un peu moins de prétention et d’un peu plus de courage et de véritable travail de fond …

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le 18 oct. 2017

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